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Un bon bain

De la dépression.

De la dépression.

Ces jours qui sont à nous si nous les déplions
Pour entendre leur chuchotante rêverie
Ah c’est à peine si nous les reconnaissons
Quelqu’un nous a changé toute la broderie.

Jules Supervielle.

Un jour vient où, sans que l’on voie en aucune manière ce qu’on pourrait faire d’autre, il ne suffit pas d’aller mieux que la veille, de se maintenir, petite forme mais. Un jour vient où les dépendances et tous les arrangements négociés pied à pied, la pendule arrêtée et en bras de chemise, avec soi-même, tous ces morceaux de journée occupés à s’occuper, ont rongé jusqu’à l’os ce qu’ils devaient seulement permettre de santé, de vie ou de liberté de mouvement, sans pour autant s’élever au carré, sans se hisser jusqu’aux puissantes cimes, aux fortes affirmations que promettent à longueur de livres vrais alcooliques ou grands fumeurs. Un jour vient où, entre parenthèses, ceux-là vous exaspèrent à prétendre entre deux pages splendides qu’eux aussi sont misérables et se tiennent à ras des gouffres, convoquant autour d’eux les vents hurlants et la beauté du monde, alors que d’ici on n’entend rien du tout. Un jour vient où l’on pense à ce que l’on devait faire, dire ou penser comme quelque policier retournerait du pied un corps – glissant la botte dessous, professionnellement, avec effort et répugnance, sentant que ça ne vit plus beaucoup, mais que c’est lourd, si lourd, on ne dirait pas à le voir. Un jour vient, pétri de tension mentale improductive et sans plus rien de net ; avec ce qu’il faut d’aspérités pour s’accrocher à sa pauvre singularité de jour ouvrable, mais pas du tout assez pour se tenir debout. Un jour, un jeudi par exemple, les jeudis existent si peu. Ces jours-là, généralement, on prend un bain.

Non que l’on ait cru beaucoup à ces histoires de renaissance et de baptême, aux vertus purificatrices de l’eau et au retour aux sources. Encore moins aux caissons opaques et étanches, sans lumière et sans bruit. On sait bien (on s’en souvient encore) qu’un arrangement ne vaut que par ce qu’il laisse, au travers des gestes qu’il impose et des froides exigences de la manie, passer de clarté et de rumeur, comme une branche toque à la fenêtre lorsqu’on est occupé, tournevis dans une main tremblante, à changer une douille pour ne pas penser. Mais justement, le bain, c’était cela – les rides en surface, les cercles concentriques autour des genoux, les doigts doucement flétris en raisins de corinthe. Après, on se sentait mieux, pas prêt à repartir, mais dégagé. On allait s’asseoir dans le moins mauvais fauteuil, on mettait un disque, on allumait une cigarette qui ressemblait à la première de la journée, le mal de coeur en moins. Le soir tombait. Un peu plus, on se serait senti au calme.

Aujourd’hui, toutefois, la baignoire a décidé d’être rose. Certes, rose, elle l’a toujours été, mais rose comme cela, comme huit cent kilos de bonbon anglais en pierre, non. On s’en serait aperçu. Dans les films des années 80, dans cette héraldique pour catalogues de meubles qui s’imposa un temps à nous comme l’image même de la jeunesse, les baignoires étaient blanches, d’un blanc minimal, halogène, qui se la jouait un peu, mais autorisait à rêver sur sa propre froideur, à se croire invincible. Là, la baignoire est rose – et il faut la remplir. De deux choses l’une, ici : soit 1) attendre qu’elle soit pleine pour se plonger dans l’eau. On remarquera toutefois assez vite que, n’étant équipée que d’une douche, la robinetterie oblige à se tenir d’abord accroupi contre la baignoire, et le bras douloureusement tendu au-dessus du rebord, de sorte que la pomme à douche se trouve plaquée au fond et n’aille pas arroser, à petits cris mouillés, le carrelage et le linge qui sèche à côté. Inenvisageable. Soit donc 2) se déshabiller, enjamber le rebord, s’asseoir et attendre, le cul sur le froid et les genoux plaqués l’un à l’autre, une main entre les jambes tenant ladite pomme à douche mais n’allez rien imaginer. L’eau doucement, monte, froide, trop chaude, etc. On aperçoit, entre les mailles du flexible, le tuyau noir de caoutchouc ; pincé, il dit que ça n’ira pas vite.

Et puis, à un moment, on se sent mouillé. Mais mouillé-mouillé, MOUILLé si vous préférez. Ni baigné-consolé, façon Obao, ni trempé-lyrique, façon Tahiti-douche. Juste mouillé, sans même dégouliner, pas assez de débit pour que les gouttes abandonnent leur viscosité première et aillent de la peau rejoindre le fond de la baignoire. A ce moment précis, on se met à rire, d’un rire plutôt jovial, comme quelqu’un qui viendrait de gagner aux courses et allumerait un cigare, les mains encore encombrées de tickets. On attend. On va sortir, parce que la baignoire ne se remplira jamais, et qu’il convient de cesser de se mentir au moins sur ce point. Léger éblouissement dû à la soudaine station verticale, posture un peu voûtée sur le fond glissant, puis nouvel enjambement et le carrelage encore. On s’essuie, disons les zones les plus apparentes, la moitié de la bête reste à sécher mais comme d’habitude. Il est toujours deux heures un quart. On pense à Bukowski qui, lorsqu’il avait perdu, disait seulement se sentir vieux et penser à la mort en sortant du champ de courses, sous le même ciel blanc. Ça fait un peu de bien.

Mathieu Potte-Bonneville


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