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Le procès de la fiction (vidéo)
Nuit Blanche 2017 - Salle du Conseil, Hotel de Ville, Paris.
Posted in Non classé, Vidéos 4 min read
Nous autres - identités en partage (vidéo) Previous Next

Le procès de la fiction : Un procès fictif de la frontière entre fait et fiction. Une proposition d’Aliocha Imhoff et Kantuta Quirós / le peuple qui manque.

Production Nuit Blanche 2017 (sous le commissariat général de Charlotte Laubard).
Le samedi 7 octobre 2017 de 19h à 2h du matin dans la salle du Conseil de Paris, Hôtel de Ville.

(Compte-rendu rédigé pour le quotidien Le Monde)

S’il est des procès pour l’Histoire, il est plus rare que les histoires – contes, légendes, rumeurs ou fausses nouvelles – comparaissent devant les tribunaux. En imaginant pour la Nuit blanche porter devant le juge le partage litigieux entre la réalité et les histoires, en faisant s’affronter au prétoire partisans et critiques d’une frontière stricte entre faits et fiction, Aliocha Imhoff et Kantuta Kiros, curateurs du collectif Le Peuple qui Manque, ne se sont pas contentés de réinventer la forme du débat universitaire. Par ce procès hors-normes, il s’agissait aussi de réunir dans une même scène, autour des philosophes et spécialistes de littérature composant l’accusation et la défense, des témoins et experts aussi disparates que dans un tribunal : historiens, avocats, écrivains, poètes, neurobiologistes, spécialistes du numérique, tant les enjeux de la question affectent tous les compartiments du savoir et du débat public. L’irruption des fake news sur la scène politique a ravivé une série d’incendies : du révisionnisme à la responsabilité de l’écrivain, de la démystification du récit colonial aux jeux vidéo, la question n’était pas de crier haro sur la fiction mais de décider s’il convient d’opérer, entre celle-ci et l’ordre des faits, une séparation des corps restaurant chacun dans son droit, à distance, thèse centrale de la théoricienne Françoise Lavocat dont le livre Faits et fiction donnait son armature au procès.

De ces sept heures de débats enflammés, on retiendra quelques portraits d’idées crayonnés sur le vif. Subsiste d’abord le sentiment d’un étrange accord entre les parties adverses : depuis que l’administration américaine brandit les “faits alternatifs”, il n’y a plus grand’monde pour assumer joyeusement, entre faits et fictions, la thèse d’un trouble radical – aussi y avait-il quelque étrangeté à voir la philosophe Claudine Tiercelin enfourcher la critique ressassée du nietzschéisme et de la déconstruction (outre qu’il n’est pas sûr que Donald Trump ait lu Derrida ou Foucault, on peut se demander si cet affrontement est encore de saison). Le différend était ailleurs : plutôt qu’à leur séparation avec les faits, c’est la question des frontières entre les différents genres de fiction qui vint progressivement sur le devant de la scène. Peut-on arguer du rôle essentiel des fictions juridiques pour contester que la littérature soit, elle, tenue à distance du réel ? Que “l’Afrique” des africanistes soit un récit compromis avec l’histoire coloniale doit-il nous porter à exiger une meilleure science ou à dresser des contre-récits, voire à se taire ? Il fut surtout frappant de voir dresser tout un inventaire de pratiques, moins inquiètes de poser des distinctions qu’attentives à composer avec des exigences apparemment contradictoires : les tribunaux, nota l’avocat Mathieu Simonet, ne se demandent pas si tel texte est fictionnel ou non, mais comment composer la liberté de l’auteur avec les droits des personnes qui croient s’y reconnaître ; les écrivains Laurent Binet et Maylis de Kérangal dirent l’émotion incomparable attachée au récit de ce qui s’est vraiment produit, mais aussi bâtir des dispositifs où le vocabulaire technique irrigue le roman ; les historiens Romain Bertrand et Quentin Deluermoz, dans un extraordinaire duo, égarèrent la défense comme l’accusation en plaidant pour une historiographie soucieuse de scientificité et de littérature mêlées. De cette audience fictive, le titre était finalement bien choisi : si “procès” signifie aussi “processus”, on explora avant tout comment créateurs et chercheurs procèdent pour ne renoncer ni au réel, ni au récit.

Mahieu Potte-Bonneville


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