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"La Nuit des idées permet de construire des scènes où on se parle"
Entretien avec Catherine Portevin (2018)
Posted in Entretiens 4 min read
Eclats du réel - Michel Foucault et Jacques Lacan Previous Un pas de côté Next

Publication : Le Monde, 26 janvier 2018 (à l’occasion de la 3e édition de la Nuit des idées).
Propos recueillis par Catherine Portevin.

Mathieu Potte-Bonneville est philosophe, ­responsable du pôle « idées et savoirs » à l’Institut français, et coordinateur de la Nuit des idées.

— Comment avez-vous pensé la Nuit des idées ?

J’avais auparavant organisé avec l’Institut français, ou aidé à organiser, des nuits des philosophes à l’étranger avec à chaque fois un succès extraordinaire. A Rabat et Casablanca par exemple, il avait fallu monter en catastrophe des chapiteaux pour accueillir les 9 000 personnes. A Buenos Aires, l’anthropologue Marc Augé, c’était les Rolling Stones ovationné par 20 000 spectateurs. Je savais donc que le public était là. Le principe, c’est créer une Fête de la pensée comme il y a une Fête de la musique : penser est une fête.

La première édition, en 2016, n’a eu lieu qu’en France, sous les dorures du Quai d’Orsay. A partir de 2017, nous avons lancé l’invitation à participer à tous les Instituts français du monde, avec un thème unique que chaque lieu pouvait interpréter à sa façon, le tout ­fédéré par un site Internet in progress, qui a permis parfois de susciter des rapprochements, par exemple l’idée d’une Petite Nuit des idées, pour les enfants, avec la ­médiathèque Louise-Michel du 20e arrondissement en duplex avec celles de Marrakech, de Dublin et de Dakar.

— De quelles expériences vous êtes-vous inspiré ?

D’abord, nous avons pris acte du fait que les lieux du débat public se sont déplacés de l’université vers des scènes vivantes. Ensuite, qu’il y a aujourd’hui une aspiration au décloisonnement des disciplines et des savoirs pour faire dialoguer chercheurs, créateurs, écrivains. Enfin, cette Nuit des idées est aussi l’occasion pour que les pensées françaises et étrangères se rencontrent à parts égales. Pour l’inauguration de la Nuit 2018, nous ­avions invité l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, qui est à la fois une star internationale et pas très repérée en France – trouver des gens très connus pas connus, c’est le Graal du programmateur ! Dès que nous avons annoncé cette rencontre sur ­Internet, les réservations ont été épuisées en vingt-quatre heures. Nous sortons d’une conception surplombante du rayonnement ­intellectuel : il ne s’agit pas de faire parler des intellectuels français devant un public étranger qui se tait, mais de construire des scènes où « on se parle. » La France ­valorise ainsi sa culture du débat public, qui lui est reconnue partout.

— Qu’y aurait-il pourtant à réinventer en France entre le savoir académique, le débat public, la recherche, les médias ?

Le grand danger est que les liens se brisent avec les spécialistes, qui partagent une expertise mais n’éprouvent plus le besoin de s’adresser au grand public. L’autre danger vient du bord opposé, du côté de polémistes, auteurs à succès, qui parlent de plus en plus contre l’université : moi qui ne suis pas dans l’entre-soi du savoir, je suis du côté du peuple.

Par ailleurs, les modalités de production des connaissances ont profondément changé, et cela pose des questions très intéressantes. Comment par exemple passe-t-on de la figure du grand auteur à la figure de l’intellectuel collectif ? Comment répond-on à la revendication démocratique dans le partage du savoir, qui s’énonce par exemple du côté des hackathons, ces collectifs politiques qui travaillent sur les logiciels libres, le Web contributif, la co-invention ? Il ne s’agit pas de faire ­revivre le débat à l’ancienne, il faut aussi en renouveler les formes.


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