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Voir ailleurs
Sur François Jullien, La Grande image n'a pas de forme.
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Identité culturelle : quelles leçons de l'anthropologie contemporaine ? Previous Shandy, Wahrol Next

Prélude à un débat à l’Ecole Normale Supérieure, 2004.

Sur : François Jullien, La Grande image n’a pas de forme, ou du non-objet par la peinture, Seuil (coll. « l’Ordre philosophique », 2003)

Cher François Jullien,

Dans un passage où il commente la manière dont les économistes bourgeois rapportent aux circonstances historiques le mode de production féodal, mais jugent naturels les mécanismes du marché, Marx a cette formule assez drôle : « en somme, pour eux, avant il y avait de l’histoire, mais maintenant c’est fini, il n’y en a plus« . Il me semble qu’une formule du même genre pourrait caractériser la perspective qui, à propos de la philosophie, tend aujourd’hui en France à devenir dominante (et officielle, voire ministérielle) : « avant, il y avait de l’ailleurs, de la différence, mais heureusement, ce n’est plus du tout pareil« . Maintenant, on sait bien que nous savons tout ce qu’il y a à savoir, que la critique de la critique se suffit à elle-même et que la quête d’un dehors relève d’un vain désir d’exotisme.

Dans ce contexte, vous faites partie des quelques auteurs qu’il est encore possible de lire et de faire lire, par exemple, de conseiller à des étudiants, lorsque ceux-ci sont animés du curieux et anachronique désir d’aller voir ailleurs.

Je parle de « voir ailleurs ». Je retiens, et j’essaye, cette formule, parce qu’elle me paraît pointer vers ce que votre entreprise a, à la fois, de radical et de difficile. D’abord, c’est avec une certaine radicalité que ce livre nous propose d’aller « voir ailleurs » – puisqu’au bout du chemin parcouru à l’intérieur des traités classiques sur la peinture, on se rend compte qu’il ne s’agit plus ni de voir, ni d’ailleurs. Il ne s’agit plus de voir, parce que la peinture chinoise ne s’ordonne pas à une théorie de la vision, en laquelle sujet et objet se feraient face de part et d’autre de la distance représentative.

Dans la relation nouée, n’est pas complètement dissocié « l’objet » de ce qui serait « en regard » le sujet perceptif ; ni n’est entièrement dévolu à l’œil le pouvoir d’initiative et de régissement, tandis que la chose vue, en vis-à-vis, se trouverait réduite à la passivité ».

(p.236)

Il ne s’agit donc pas, en toute rigueur, de voir, au sens où nous l’entendons ordinairement – mais il ne s’agit pas davantage d‘ailleurs – au sens où le visible se devrait de reconduire à l’invisible, suivant cette relation anagogique essentielle à la conception occidentale de la peinture. Je cite, là encore :

Peindre sera donc peindre cette forme-ci – singulière comme elle est – mais sans entrer dans la dépendance de cette forme (…) sans non plus qu’on ait à « quitter » cette forme pour, en délaissant le caractère concret, la reconstruire sur un autre plan qui, séparé d’elle, serait celui de l’idéel (spirituel) et du symbolique – la « grande image » n’est pas le symbole se déployant en idée. Ni adhérence ni délaissement, par conséquent, car les deux sacrifient et sont à perte (or, la Chine n’a pas pensé, comme en Europe, la force de tension et de dépassement sublime résultant de la Perte).

(p.143)

En bref, au bout du livre, on aura réussi à voir ailleurs en comprenant que la question ne se pose plus du tout en ces termes – et le plus sûr signe du voyage accompli aura été de remettre en question, s’agissant de l’image, la métaphore du voyage ou du parcours (cette métaphore dont la caverne platonicienne, par la façon dont elle lie l’image, le déplacement et la théoria donnerait une assez bonne idée).

Conditions du regard

Or, la question que je voudrais soulever, en amont de ces résultats, est celle des conditions mêmes d’un tel changement de perspective : il me semble en effet que cet ouvrage (comme les précédents, mais avec un tour d’écrou supplémentaire), laisse voir la complexité du geste nécessaire à susciter effectivement un tel déplacement du regard. Car, et cela doit faire taire ceux qui crieraient aux facilités de l’exotisme, il n’est pas du tout facile de voir effectivement ailleurs ; pour trois raisons au moins :

  • D’abord, parce qu’en amont, du côté de la construction même de la perspective, se pose le problème du lieu depuis lequel un tel « ailleurs » se laisserait voir (d’où voir ailleurs, sinon d’ici – mais cette condition ne compromet-elle pas d’emblée l’échappée recherchée ?) ;
  • Ensuite, parce qu’en aval, du côté de la restitution et de l’écriture d’une telle expérience, on doit se demander comment maintenir cette altérité même dans le mouvement où on se l’approprie ;
  • Enfin, et dans le parcours qui conduit de la construction à l’écriture, la difficulté est sans doute de négocier avec le fait qu’un tel désir constitue l’un des ressorts les plus constants et les plus stables de la raison occidentale (je mentionnais tout à l’heure la caverne et son voyage) : comment celui qui tente de voir ailleurs peut-il éviter de reconduire le rêve même d’ici ?

On voit la difficulté : il faut que cet ailleurs, que cette autre possibilité recouverte par notre manière de voir, ait quelque rapport avec le lieu où nous nous tenons, mais quelque différence avec cette altérité dont nous rêvons, de l’intérieur de notre perspective. Il faut, s’il y a de l’autre, qu’il constitue un autre autre que celui en lequel, ou contre lequel, nous nous reconnaissons volontiers – mais qu’il ne soit pas pour autant un tout-autre, sans quoi nous devrons désespérer de le voir.

Une remarque ici. Il me semble (et le titre que vous donniez il y a quelques années à un ouvrage d’entretiens, « penser d’un dehors », renforce mon sentiment) qu’en vous affrontant à cette question, vous prolongez sur un tout autre terrain un problème posé autrefois par Michel Foucault : le problème de savoir dans quelle mesure il est possible de constituer une histoire des limites. Dans la première préface de l’Histoire de la folie, Foucault écrivait :

On pourrait faire une histoire des limites – de ces gestes obscurs, nécessairement oubliés sitôt qu’accomplis, par lesquels une culture rejette quelque chose qui sera pour elle l’extérieur ; et tout au long de son histoire, ce vide creusé, cet espace blanc par lequel elle s’isole la désigne tout autant que ses valeurs.

Un peu plus loin il ajoutait :

Dans l’universalité de la ratio occidentale, il y a ce partage qu’est l’Orient : l’Orient, pensé comme l’origine, rêvé comme le point vertigineux d’où naissent les nostalgies et les promesses du retour, l’Orient offert à la raison colonisatrice de l’Occident, mais indéfiniment inaccessible, car il demeure toujours la limite : nuit du commencement, en quoi l’Occident s’est formé, mais dans laquelle il a tracé une ligne de partage, l’Orient est pour lui tout ce qu’il n’est pas, encore qu’il doive y chercher ce qu’est sa vérité primitive. Il faudra faire une histoire de ce grand partage, tout au long du devenir occidental, le suivre dans sa continuité et ses échanges, mais le laisser apparaître aussi dans son hiératisme tragique.

Cet extrait, qui peut être lu de deux manières, me paraît poser assez rigoureusement le nœud de difficultés auquel vous ne cessez de vous affronter. En un premier sens, faire l’histoire des limites, c’est faire l’histoire des limites qu’une culture s’impose à elle-même, d’un partage constitué sur le fond d’un horizon par elle définie. Dans cette perspective, faire l’histoire des limites, ce serait finalement ne rencontrer que soi, sous la forme inversée d’un non-soi contre lequel nous aimons nous reconnaître. L’histoire de l’Orient, alors, ce serait une histoire ne se jouant qu’entre l’Occident et l’Occident, une histoire de l’orientalisme dans la pensée. Mais simultanément, il faut bien qu’en ce « faux-départ » quelque chose ait bel et bien été mis à part – sans quoi « l’histoire des limites » serait condamnée au faux-semblant (il n’y aurait plus, ni vraies limites, ni véritable histoire, mais une enquête sur la manière dont chaque culture se donne le frisson d’une extériorité factice) : il faut, donc, que l’Orient persiste sous l’Orient, qu’un autre Orient soit visible à travers l’Orient dont nous faisons notre autre – un autre Orient, depuis lequel l’occident apparaisse effectivement relativisé et entamé dans son identité.

Revenons à votre travail. M’intéresse, la manière dont vous ne cédez en rien sur cette difficulté : la manière dont la différence Orient/Occident n’apparaît chez vous ni comme différence interne à l’Occident, posée depuis ses catégories et en fonction d’elles, ni comme différence externe, comme si pensée occidentale et pensée chinoise se tenaient partes extra partes, et pouvaient être décrites depuis un lieu neutre, étranger à cette différence même. Cela passe en particulier, me semble-t-il, par le fait de tenir ensemble deux postures :

  • D’un côté, et dans chacun de vos ouvrages, vous faites en sorte de vous assurer une extériorité véritable, de penser (pour reprendre votre formule) depuis le dehors, cad depuis une Chine dont l’essentiel tient à ce que ses problématiques se sont constituées hors de toute influence directe ou durable vis-à-vis de la raison philosophique occidentale. Est essentiel, ici, le rapport au corpus, le fait de ramener dans vos filets la matérialité de textes ou de documents suffisamment consistants pour garantir, une fois pour toutes et au seuil du livre, que l’Orient dont on parlera n’est pas un rêve occidental ;
  • De l’autre côté, et dans le même temps, me frappe la manière dont, lorsque vous convoquez les catégories occidentales, vous ne cédez rigoureusement rien à un relativisme de principe, avec cette idée que, si l’on veut se laisser relativiser, il faut commencer par ne pas l’être, par soutenir avec sérieux l’universalité des catégories philosophiques. Cela donne presque à vos textes une allure XVIIIe siècle. Par exemple :

Il est donc temps de commencer à cerner de plus près ce autour de quoi, entraînés dans l’élaboration des cohérences taoïstes, nous n’avons fait jusqu’ici que tourner (…). Pourquoi la Chine n’a-t-elle pas développé une théorie de la représentation mimétique, comme l’a fait la Grèce, pour servir de socle à sa conception de l’art ?

Cette manière de poser la question est tout à fait frappante – un bon esprit dirait : eh bien, c’est que la Grèce c’est la Grèce, et la Chine la Chine, pourquoi voudriez-vous que vos catégories à vous soient universelles, et pourquoi lire ainsi la pensée chinoise en creux ? Or, une telle objection (disons, la critique a priori de l’ethnocentrisme au nom de la différence des cultures) revient à dissoudre le problème posé dans l’élément d’une simple juxtaposition des modes de penser – juxtaposition réservant subrepticement, a parte subjecti et par ce qu’elle implique de tolérance œcuménique, la supériorité de notre façon de voir, qui met à reconnaître son équivalence avec toutes les autres une promptitude suspecte. Votre démarche est inverse, et en constant déséquilibre : dans le même temps, reconstruire les cohérences taoïstes et s’étonner de l’absence de nos cohérences à nous. En somme, pour voir ailleurs, il faut partir d’ici (aux deux sens, incompatibles et indissociables, de cette expression – il faut être parti, il faut en repartir).

Ce déséquilibre, cette manière de se tenir à la frontière entre limite interne et limite externe, suscite chez le lecteur un troublant effet de méconnaissance/reconnaissance :

  • Un instant, on croit bien reconnaître cet orient-là, cette altérité-là (qui ne connaît pas de forme mais des transformations, pas d’extériorité réciproque du vide et du plein) : vous le mentionnez, d’ailleurs : 

Ce thème, que nous n’ignorons pas non plus, en Europe, d’une « fusion » dans/avec ce qui n’est plus dès lors un objet, soi-même ne se posant plus à distance en sujet perceptif, ne peut qu’être suspect à la raison européenne, versant désagréablement dans l’extase et le mystique

(p.249)

Suspect, peut-être – mais cette suspicion nous est encore familière, et tient un peu de la fascination (rêve d’un monde d’avant la division, d’une fusion hors de la différence, de l’Un plotinien au-dessus de la colline platonicienne). Cet autre, donc, on croit le reconnaître ;

  • Mais l’instant suivant, on ne s’y reconnaît plus du tout, quoique l’image soit presque la même : puisque ce fond indivisé, nous apprenons qu’il va se divisant, que cette grande forme n’est pas hors des formes ni au-delà d’elles, etc, que le yi (cette puissance germinative qui fait l’unité de l’image et de la chose, en-deçà de toute relation) nous échappe finalement. En bref, dans le même mouvement, nous sommes renvoyés à ce que cette étrangeté a de plus familière (d’impossible, donc à rabattre sur un simple éloignement culturel) et à ce que cette familiarité a d’étrangère (dès lors que cet autre, cet indifférencié, ne sont pas exactement notre autre, ni notre indifférencié).

En peinture

J’en viens maintenant, plus spécifiquement, à ce livre-ci, et à l’étape qu’il me paraît constituer dans cette stratégie d’estrangement (pour employer un mot que C.Ginzburg reprend à Montaigne, dans A distance). S’il me semble y avoir, dans La grande image… comme un pas supplémentaire dans cette économie du « voir ailleurs », c’est que le livre constitue, en même temps, une simplification et une complication du dispositif élaboré dans les précédents ouvrages. En apparence, simplification, car cette fois, la peinture vient en tiers, et on compte sur elle comme sur une sorte de moyen-terme. Il y a une « commodité » de la peinture :

le discours chinois sur la peinture n’a cessé lui-même de vouloir expliciter , pour mieux comprendre comment réussir en cet art, le rapport qu’entretient la pratique picturale avec cette « vision » globale de la réalité. Mais, alors que celle-ci est si difficilement saisissable, tant à cause de cette globalité qui l’enferme que de l’énoncé formulaire dans lequel elle se moule, la peinture nous est donnée comme un biais sensible – et même expérimental – pour l’approcher. Car, pour une fois, cette vision du monde aussitôt s’éprouve, par le fait qu’il s’agit de peinture, c’est-à-dire de mouvements du pinceau que je peux à tout moment ébaucher, de traces et de figurations qui s’étalent en tout cas sous mes yeux. Cette pensée « particulière » de la Chine (…à nous n’aurons donc pas à nous contenter d’en reconstruire la logique notionnelle, d’une façon qui, ne serait-ce qu’à cause de l’écart des langues, garde inévitablement quelque chose d’échafaudé (…) mais nous la constatons cette fois à l’œuvre et la vérifions dans ses effets

(p.299)

Dans le rapport Orient/Occident, la peinture interviendrait ainsi comme une expérience permettant de suspendre l’intraductibilité des lexiques ; en « expérimentant » à même les toiles reproduites à la fin du livre, nous pourrions lutter à la fois contre ce que la traduction implique de perte, et contre ce qu’elle implique d’assimilation forcée.

Reste évidemment que cette « commune mesure » est tout à fait problématique : me frappe beaucoup le fait que, lorsque vous cherchez à caractériser cet accès offert par l’opération picturale (par ce que fait la peinture, par ce que nous pouvons en faire), vous êtes commis à l’articuler suivant deux lexiques assez différents : celui de la vision (« vision du monde« , dites vous) ; celui de la gestualité (ébaucher, faire se mouvoir le pinceau, vérifier…). En bref, là même où les traits d’encre semblent permettre d’ajointer immédiatement les perspectives occidentales et orientales, ils se redivisent et retombent suivant des « logiques notionnelles » alternatives. On ne peut ici s’empêcher de penser que cette division, cette naissance du divers dans la division du trait, est cela même que vous décrivez comme le secret sans profondeur de l’expérience chinoise.

La simplification par la peinture est donc une simplification compliquée, une unité divisée et divisante. Cela renvoie à l’autre intérêt de votre livre : la manière dont, cette fois-ci, votre démarche s’y redouble clairement dans l’objet même qu’elle convoque et interroge : je rappelais tout à l’heure la notion foucaldienne d' »histoire des limites », qui me paraît  assez convenir à votre entreprise. Or, force est de constater que, des limites, il est cette fois question deux fois :

  • Ce que vous tâchez de sonder, ce sont les limites de la conception occidentale de la représentation, en tant que celle-ci est solidaire d’une pensée de l’objet et de l’objectivation ;
  • Mais ce que vous montrez (comme le titre l’indique), c’est la manière dont cette pensée est d’abord solidaire d’un certain régime de différenciation, de délimitation, d’individuation découpée sur le fond d’un illimité lui-même pensable comme forme supérieure, ou comme infini positif.

En bref, et c’est pour moi l’aspect le plus passionnant du livre, s’il s’agit de confronter deux possibilités de penser que l’intervention de la peinture permettrait de mesurer l’une à l’autre, il s’agit aussi, en sous-main, d’une enquête sur les limites de la pensée des limites, ou entre deux pensées de la délimitation. 

Deux modes de l’entre

Toute la difficulté est alors, évidemment, de savoir sous quelles modalités ce « entre » va se trouver saisi – à l’occidentale, ou à la chinoise. De ce point de vue, l’oscillation me paraît constante dans votre ouvrage. Tantôt, la limite sera saisie sur le mode disjonctif et démonstratif, sur le mode de l’omni déterminatio est negatio. Ainsi écrivez-vous, à propos de l’esquisse :

Si la notion d’esquisse ne s’est pas vu revendiquer un sens fort au sein de la réflexion esthétique des Lettrés chinois, c’est, on s’en doute, qu’elle s’y est largmenet dissoute et va si bien de soi qu’elle se confond avec elle. Car pourquoi aurait-on à la penser à part, s’il est vrai qu’on ne pose, et ne pense, une notion que par opposition, la découpant selon la ligne de fracture qui la sépare d’un dehors ?

(p.115)

« S’il est vrai », dites-vous : mais il me semble que dans cette formule s’indique autre chose qu’un simple lien démonstratif – une forme d’hésitation, la question de savoir si, justement, la délimitation notionnelle suppose toujours une « fracture » vis-à-vis du « dehors ». Car à d’autres moments, c’est bien une autre manière de penser la différence et la relation que l’on voit s’indiquer : car « le lecteur qui aura su ressasser patiemment ces arts de peindre se découvrira bientôt libre d’une telle hâte de l’esprit à construire, abstraire, articuler« .  Liberté qui ne doit pas être comprise à notre manière, comme la chute dans une indifférenciation bienheureuse, comme retombée dans l’apeiron. C’est bien d’un autre genre de différence qu’il s’agit – et la bonne nouvelle de votre livre, par rapport à cette conception contemporaine de la philosophie dont je parlais au départ, c’est non seulement qu’il y a encore de la différence, mais qu’il y en a même de différentes. Je voudrais à ce propos citer ce qui est à mon avis le plus beau passage du livre, l’analyse du sinogramme « entre » :

Mais quelle est donc au juste la nature de cet « entre » dont on attendrait normalement si peu ? Ni proprement séparateur, comme s’il exprimait la distance, ni non plus précisément médiateur, à l’inverse, comme s’il exprimait la relation, cet entre que parcourt le couteau opérant aux jointures, ou par où filtre la clarté qui choit des astres, fait communiquer de l’intérieur et de part en part, c’est-à-dire qu’il maintient cet intérieur espacé-traversé (…) Cet entre n’est donc pas l' »entre les choses » constituant leurs rapports et par conséquent modifiant leur valeur (…) mais, immanent à la chose elle-même, il est justement ce qui la prive ou plutôt la désadhère de cet « elle-même », l’initie à son absence, distend sa concrétion et déclôt son en-soi : par quoi elle respire, se libère, s’irrigue et se laisse traverser.

(p.146)

Dans un ouvrage entièrement consacré à ce qui se joue entre Chine et occident, à propos de ce qui se passe entre le sujet et l’objet, comme entre les choses et elles-mêmes, ce passage ne peut manquer de frapper. En fait, et je concluerai par là, je me suis demandé si, écrivant sur ces arts de peindre, vous n’aviez pas d’une certaine façon rédigé votre art d’écrire.

Mathieu Potte-Bonneville.


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