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Le jour du futur
Sur La Trilogie Spin, de Robert Charles Wilson.
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Première publication : Libération, 19 novembre 2009.
Lire sur le site de Libération.

A propos de : Robert Charles Wilson, Axis, Denoël / Lunes d’Encre, 2009. 388 p., 20 €.

Imaginer le futur, s’inquiéter du présent : tendues entre ces deux gestes, beaucoup d’oeuvres de science-fiction se contentent soit de transposer notre temps dans un autre, ou les conflits d’ici à une planète lointaine (comme, dans Dune, les enjeux du pétrole aux sables d’Arrakis), soit d’extrapoler, portant à leur limite les dynamiques en cours pour en grossir les traits utopiques ou terrifiants. Plus rares sont les livres qui sondent l’entre-deux – cet écart qui court d’aujourd’hui à demain, et la façon particulière dont une époque s’attend à la suivante ; non les contenus de l’avenir, robots ou voitures volantes, mais l’à-venir lui-même et la façon dont il nous vient, la manière singulière dont notre conscience actuelle se tend vers le futur. Sur ce point, la SF moderne demeure la fille de la guerre froide : d’avoir grandi entre menace nucléaire et compétition Est-Ouest sur le sens de l’histoire, son horizon est tantôt celui de l’imminence et tantôt celui des fins dernières, horizon très loin, très proche dont les hommes sont, au choix, les acteurs ou les témoins impuissants.

La guerre froide est terminée, et l’écrivain d’origine canadienne Robert Charles Wilson creuse un autre sillon – le nôtre. En 2001 déjà, dans Les Chronolithes, il imaginait le surgissement dans le présent d’immenses stèles commémorant la victoire future d’un chef de guerre mondial, victoires datées de vingt ans dans l’avenir. Vingt ans : ni demain, ni la fin des temps, mais l’espace d’une génération ; génération vouée à grandir dans l’ombre de cette prophétie à la fois déjà jouée mais dont nul, pour autant, ne peut éviter de se sentir comptable, génération prise dans l’étau d’effets incalculables s’étageant dans une durée moyenne, et commise tout autant à lutter contre qu’à vivre avec. Prix Hugo 2006, Spin (dont la suite, Axis, paraît cet automne) s’ouvrait sur l’apologue de la grenouille : si une grenouille tombant dans l’eau bouillante en sautera avant d’être brûlée, qu’advient-il de celle nageant dans une casserole dont la température monte peu à peu ? Si la Terre se précipite vers sa fin à l’échéance de cinquante ans, comment seulement se figurer cet écart, le traduire dans l’ordre de l’expérience et de l’action ? Le rapport entre l’horizon collectif et le temps biographique s’en trouve bouleversé – ce pourquoi, sans doute, Wilson déploie une rare attention à  centrer son récit autour de personnages que l’on croiserait plus volontiers chez Russell Banks que chez Asimov, personnages dont le devenir n’est pas réglé sur les seules exigences de l’intrigue, dont la vie est affectée par une transformation globale à laquelle, pour autant, elle ne se résume pas. Si notre temps se distingue par le mal que nous avons, justement, à le faire nôtre, tant les perspectives écologiques fixent à notre pratique un agenda inhabituel, et tant le rapport de nos comportements individuels aux changements collectifs apparaît incertain, l’oeuvre de Wilson travaille à donner figure à cette expérience-là. Dans Axis, la planète neuve et vierge sur laquelle l’humanité a finalement trouvé refuge se couvre déjà, sur ses franges, de bidonvilles construits à la hâte et de carcasses de navires découpées pour en extraire le métal ; l’espérance de vie, elle, s’allonge, mais la forme à donner au grand âge ne s’est pas encore inventée. Dans ce monde de dégradations que l’on ne peut éviter de voir mais dont on peut encore, un temps, se détourner, et face à cette durée dont on ne sait que faire, les Dieux à venir portent un nom qui sied à nos hésitations : Wilson les nomme les Hypothétiques.

Mathieu Potte-Bonneville


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