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All in the game

The Wire ou le jeu social.

The Wire ou le jeu social.

Première publication : E.Burdeau (dir.), The Wire, reconstitution collective, Capricci / Les Prairies ordinaires, 2011.

C’est un long canapé usé, d’une teinte plus ou moins orange, posé au milieu de la cour – paysage de pelouses pelées et de pavillons de brique, à l’arrière-fond cris (« five-o, five-o ! » lorsque survient la police, « I’ve got blue ones, red ones » lorsque reprend l’ordinaire de la vente de drogue). Trois, quatre noirs s’y tiennent, assis profondément ou acculés à son dossier, juchés sur ses accoudoirs ; ils y commentent l’action, le monde, leurs rapports réciproques. Une fois (S1, E7), un fugitif traverse la cour, bientôt suivi par un policier soufflant – entrée dans le champ, sortie du champ, un autre policier arrive de l’arrière, crissement de pneus, et le fuyard termine plaqué au sol ; autour du canapé, et au centre immobile de ce dispositif, l’assistance aura, sans guère bouger, encouragé comme au spectacle les coureurs, protesté vaguement lorsque se seront rassemblés autour du garçon menotté à terre, comme sur la photographie qui clôturerait une scène de chasse, les flics souriant et plaisantant. Au long de cette scène de gendarmes et voleurs, toute tension dramatique aura été méthodiquement désamorcée : acclamations rieuses à la tentative du coureur pour échapper à la police (« cours, négro »), remarque ironique du flic saluant son propre halètement d’un « quelqu’un aurait une cigarette ? », accusations de racisme lancées hors-champ (« vous le traiteriez comme ça s’il n’était pas noir ? »), critiques dont le ton même indique qu’elles tiennent davantage du réflexe mécanique, d’une habitude visant à saluer la normalité de l’épisode en reconstituant par-dessous la communauté de ceux qui n’en pensent pas moins, plutôt que de l’indignation vraie ou d’une vibrante solidarité avec le perdant du jour. 

Il faut s’y faire : la série saluée par Times Magazine ou le New-York Post comme la meilleure de l’histoire de la télévision américaine, celle dont Barack Obama a indiqué avant son élection qu’elle avait sa préférence, celle que l’Université de Harvard choisit un temps pour syllabus de ses cours sur l’inégalité urbaine, cette série donc tourne longtemps autour d’un canapé, et toute la saison 1 y revient comme un navire à l’ancre. A bien y regarder, on s’aperçoit que cette banquette joue plusieurs rôles : spéculaire, renvoyant de ce côté de l’écran à cet autre canapé sur lequel le public se tient assis (de même que, dans une scène d’une rare douceur, le franc-tireur Omar et son boyfriend regarderont la télé au lit), elle a d’abord charge d’indiquer l’immersion dans une réalité sociale et urbaine dont l’exotisme, vis-à-vis de l’ordinaire des séries télévisées, tient paradoxalement à son caractère peu spectaculaire. C’est comme s’il s’agissait de prendre à revers toutes ces publicités vantant la TV haute définition où le spectateur voit son fauteuil soudain projeté parmi les dinosaures, les déserts ou les combats spatiaux – ici, ce sont la grisaille, les arrière-cours, les friches qui tiendront lieu d’expérience totale. En même temps, par l’espace inédit qu’il dessine (dedans-dehors, aux limites du spectacle et de l’action), le canapé vaut comme un double indice : il pointe vers l’inconfort du spectateur, lequel, d’être assis ailleurs, ne pourra se sentir totalement disculpé de tout lien avec ceux qui sont campés là et en lesquels il ne saurait pourtant pourtant se reconnaître comme face au sofa rassurant de Friends ; d’eux à lui, plutôt, un fil court, comme il lie entre eux les habitants de diverses couleurs et les positions sociales disparates de Baltimore. Sur son autre face, le canapé donne aussi corps à la position liminaire qu’occupent les protagonistes, installés comme en marge d’eux-mêmes : assistants et acteurs, tantôt assis, tantôt debout, ils ne peuvent guère compter sur la conscience qu’ils ont de leur propre place pour porter une quelconque promesse d’émancipation, mais se voient commis à inventer les manières, les phrases ou les ruses propres à leur permettre d’habiter cet inhabitable.

Enfin, et peut-être surtout, le canapé orange leste toute velléité de croire aux vertus de l’action, de la vitesse et du mouvement, d’un indice d’immobilité valant avertissement. Ni le développement de la trame narrative ni la compréhension de ses rouages et de ses enjeux ne pourront aller vite, autant vous installer à l’aise, prenons le temps d’en parler. Vous ne pourrez compter sur la nouveauté ou la surprise, sur les halètements du chronomètre et l’attente du coup suivant : rarement aura-t-on vue série déjouer aussi régulièrement la règle du cliffhanger, clore ses épisodes par une coda dont tout, jusqu’à la musique invariable, indique qu’elle pourrait à chaque fois suffire, déplacer ses climax vers l’avant-dernier épisode du cycle – telle la mort de Stringer Bell, à la fin de la saison 3 – pour ménager, après eux, le temps mort d’un retour à la norme. Mais c’est que policiers, dealers, course-poursuites et captures font à la télévision si depuis longtemps partie des meubles que lorsque les flics surviennent, les guetteurs empruntent leur cri d’alarme à Hawaï, police d’Etat. Ce  constat n’apaise en rien leurs souffrances, ne porte pas à ironiser, mais engage à la fois à déménager cet attirail usé (à ce titre, The Wire fonctionne, pour décalquer le titre du Hamlet de Carmelo Bene, comme une série policière de moins) et à en examiner l’aménagement, la distribution d’ensemble.

Sit-drama, comme on dirait sit-com. Cette immobilité forcée introduit à ce qui règle profondément le déroulement de la série et participe de sa singularité : sa dimension géographique, ou plutôt cette conviction qu’il n’est de récit historique possible (au sens d’une histoire sociale, culturelle et politique) qu’à la condition d’en immerger le temps dans l’espace, de conjurer la dictature de l’histoire, au sens cette fois de l’intrigue et du récit. Les cinq saisons de The Wire s’ordonnent, non étape par étape, mais secteur par secteur : l’un après l’autre, s’éclairent les quartiers de la ville et les strates de son fonctionnement sans que le nouveau vienne chasser l’ancien, à la façon dont la progression dans un jeu vidéo complète peu à peu la carte, « débloque » successivement des portions de plus étendues du territoire sans fermer la possibilité de revenir vers les précédentes zones explorées (à une exception près : sur les docks de la saison 2, on ne reviendra guère, leur inaccessibilité signant la clôture d’un certain régime d’histoire, fait de mobilisations collectives et de luttes syndicales arc-boutées autour du travail). Sur ce fond, les deux caractéristiques souvent remarquées et parfois critiquées de la série – la lenteur de son développement narratif, la complexité déconcertante de ses ramifications –  font corps : c’est que, d’habitude, la vitesse autorise en les effaçant au fur et à mesure toutes les complications et jusqu’aux plus invraisemblables coups de théâtre, lesquels en retour lui donnent son élan (la bombe sitôt désamorcée, voici que les chinois débarquent, et ainsi de suite). A ce propos, l’opposition politique entre 24 et The Wire ne tient pas seulement à ce que la série-phare de la Fox fait de la guerre contre le terrorisme l’ultima ratio de toutes les infâmies, quand celle de HBO s’arrête sur l’immense gâchis de la « war on drugs » ; sous ces visions alternatives, perce un différend d’un autre genre, touchant au rapport que l’un et l’autre feuilletons établissent entre succession et simultanéité. Dans 24, le simultané se plie au successif : l’insistance sur ce qui se déroule parallèlement dans les divers lieux de l’action, co-présents à l’écran (via la technique du split-screen), s’hystérise et se renverse dans l’affirmation d’une seule et unique course, laquelle abolit les frontières et dissout les visages sous l’unité d’une même quête familiale et patriotique ; s’il n’y a pas de hors-champ, c’est qu’il n’y a pas de hors-temps.

The Wire à l’inverse prend son temps et scrute les visages (on y apprend, breaking news, qu’il n’y a pas deux noirs semblables), à parcourir tour à tour divers lieux dont aucun, de devenir provisoirement invisible, ne cesse pour autant d’être actif, de déployer ses tactiques propres, son agenda et ses effets : la reconversion du port est en route dans l’angle mort des péripéties de la saison 2, les coupes sévères dans le budget alloué à l’école et à la police (parce qu’un autre agenda, électoral celui-ci, est à l’oeuvre dans les sphères) retentissent sur les relations entre le jeune Michael Lee et sa mère, explosent dans la colère de l’officier Colicchio. D’un mot : là, la résorption servile de la complexité du monde sous l’identité d’une geste héroïque, le nez sur la pendule ; ici, l’inscription du temps narratif dans la disparité d’espaces interconnectés, pour le meilleur (la patience de l’exploration) et pour le pire, c’est-à-dire le retard et le contretemps nés de la discordance des durées – l’atermoiement fatal aux opérations de police, l’empressement de la hiérarchie à voir enfin étalée sous l’oeil des caméras « de la drogue sur la table », la blessure par balle qui interdit à la policière d’honorer sa promesse d’aider l’indic toxicomane à s’en sortir, l’aveuglement avec lequel le syndicaliste Frank Sobotka se rendra au rendez-vous censé sauver son fils, ignorant que son propre sort est déjà scellé. 

The king remains the king

Que les personnages aient constamment à se situer, et le public avec eux, dans un espace qui les déborde et vis-à-vis de stratégies développées par d’autres, dont la latitude et la logique d’action diffèrent profondément des leurs, cela est clairement indiqué par la scène où les dealers des pavillons apprennent à jouer aux échecs (S1, E3) : effaré de constater qu’ils utilisaient jusque là l’échiquier pour jouer aux dames, leur superviseur d’Angelo Barksdale se résout à leur expliquer le mouvement des pièces ; l’artifice pédagogique qu’il emploie à cette fin, et qui consiste à comparer chaque camp à un gang (avec ses porte-flingues, ses pions et sa tour en guise de stock de marchandise, de « stash ») se retourne dans une adresse au spectateur, convié à reconnaître dans le jeu d’échecs la meilleure description possible de la guerre que se livrent policiers et trafiquants. La métaphore est risquée, d’être empruntée au répertoire le plus traditionnel des comparaisons littéraires où elle vint très tôt caractériser et codifier le roman policier. Dès 1928, un article fondateur de S.S.Van Dine dans American Magazine édictait « vingt règles pour le crime d’auteur », circonscrivant le polar au respect d’une série de principes qui dont le sens était avant tout d’assurer l’équité de la partie entre l’auteur et son lecteur perspicace ; principes que Boileau-Narcejac glosent, tout naturellement, en recourant à l’image du roi des jeux : les personnages sont « de simples pièces sur un échiquier : le roi ; la reine, le fou, etc. Chaque pièce a « une valeur », se déplace d’une manière déterminée, De même le détective, l’assassin, les suspects… » (Boileau-Narcejac, Le Roman policier, coll. « Que Sais-je ? »). Ainsi conçue, la métaphore des échecs paraît proposer une excellente introduction a contrario, tant elle décrit très exactement ce que The Wire n’est pas : ni le développement d’une combinatoire aux seules fins de l’exercice intellectuel ; ni la position d’un auteur tout-puissant déployant, à l’aplomb de l’intrigue, une stratégie dont l’enjeu serait de prendre le public de court ; ni la sollicitation d’un spectateur vigilant invité avant tout à suivre, voire à anticiper le prochain coup de scénario ; ni la réduction des protagonistes à une série de positions typiques dont l’identité sociale (gardien de corner, flic, journaliste ou chef de gang) suffirait à établir une fois pour toutes l’identité. Il n’est pas jusqu’à l’opposition des couleurs, noirs contre blancs, qui ne soit inadéquate à décrire la dimension raciale de l’affrontement – la série, dans le même mouvement où elle met en scène l’abandon massif de la communauté afro-américaine à l’économie parallèle, défait toute tentation de s’en tenir là par sa manière d’apparier les personnages principaux en couples bicolores (chez les flics, Bunk et McNulty, Lester et Prez, Carver et Herc ; chez les usagers de drogue, Bubbles et son ami Johnny ; du côté de la hiérarchie, les chefs Burrell et Rawls…). The Wire, donc, est aussi loin que possible du jeu d’échec, n’était peut-être l’impossibilité d’y devenir roi, comme un pion parvenu à l’extrémité du damier devient dame à son tour (« le roi reste le roi », explique d’Angelo, et les dominations sont invariables). N’était, aussi, la clôture de l’échiquier, l’impossibilité de rompre le fil en s’éloignant de trop des frontières de la ville : à la proposition qui lui est faite de monter dans le premier Amtrak pour le nord, Omar répond sobrement : « Baltimore all I know. Man gotta live what he know » (S4, E46).

Il se pourrait pourtant que cette sentence, venue de la pièce sans doute la plus inscrutable et aberrante du jeu (Omar, braqueur ne volant que les dealers, tient autant du Goupil médiéval que de la case vide dont la circulation assure la mobilité et l’affolement de l’ensemble), que cette sentence donc nous mette sur la piste du véritable sens de la métaphore : dans l’expression « all in the game », répétée à l’envi, l’essentiel tient à la préposition in. Que serait une partie vue de l’intérieur, du point de vue des pions, des reines et des tours, où chacun ne connaîtrait que ses lignes ou diagonales propres, soupçonnerait les dangers qu’il y a à seulement rêver s’aventurer sur les cases blanches ? Et l’apprenti-cavalier, obligé à ces bonds bizarres en avant, de côté, comment s’y prendrait-il ? La question doit être comprise sérieusement, c’est-à-dire sans tricher : trop de films, Rashomon au petit pied, ne démultiplient les perspectives et ne s’immergent parmi les témoignages que pour mieux reconstituer, par-devers eux, une narration totalisante où à la fin tout devient clair de l’avoir été, du départ, dans l’intention du scénariste. A ce titre, si stratégie il y a du côté des concepteurs de la série, elle consiste avant tout à doubler la clarté du découpage thématique d’une série de décisions visant à se contraindre, en quelque sorte, à un coup de retard. D’un côté, son créateur David Simon explique avoir voulu traiter, à chaque saison, une question socio-politique déterminée – saison un : l’individu dans la société contemporaine, saison deux : la fin du travail, saison trois : la réforme et la politique, saison quatre : l’école, saison cinq : la presse – tous propos sagement ordonnés comme un programme de recherches. Mais d’un autre côté, ceci : lorsque la série commence à être identifiée comme un tableau de la communauté noire, abandonner les noirs, pour leur substituer des syndicalistes blancs ; lorsqu’elle semble tenir tout entière sur les épaules du policier Jimmy Mc Nulty, donner congé à ce dernier, presqu’absent d’une saison et demie ; lorsqu’elle hisse un méchant charismatique, Stringer Bell, au statut de star, l’abattre, quitte à faire pleurer le figurant chargé d’emballer son corps dans un bodybag et à se faire vilipender par les spectateurs à chaque apparition publique ; lui substituer un autre méchant, Marlo, si peu aimable que l’acteur expliquera consacrer une part de son temps à des activités bénévoles et éducatives, histoire de se faire pardonner ; compenser le réalisme des interminables filatures, palabres et paperasseries par l’adjonction d’un personnage de badass black à cache-poussière et carabine, propre à susciter le mythe et l’identification – mais en faire un gay inconsolable de la perte de son amant roux. L’ensemble de ces gestes ne doit pas être lu comme un raffinement de l’art du contrepied, destiné à flatter le goût d’un public exigeant (David Simon répète, avec quelque arrogance, être souvent plus exigeant que son public) ; il s’agit plutôt, pour des scénaristes souvent matériellement incités à faire montre de leur maîtrise pour assurer l’audience et contenter la chaîne, d’abdiquer quelque chose de cette position d’au-dessus, de cette posture du joueur assuré de gagner à tout coup, pour reverser au prix d’un certain égarement l’initiative à ceux-là même qui sont engagés dans le jeu. Si une partie a commencé, ses maîtres sont maladroits à dessein, déplacent les pièces avec un bras dans le dos ou, pour le dire avec les mots du commissionner Burrell à ses subordonnés : « It’s Baltimore, gentlemen ; the gods will not save you ». (S3, E28).

Gameplay

La réflexion sur les jeux distingue ordinairement game et play – soit le jeu comme structure formelle, ensemble de règles définissant le mouvement des pièces et la valeur des coups, et le jeu comme activité effectivement déployée par les joueurs, laquelle se tient à mi-distance de deux extrêmes : celui d’une improvisation radicale, celui d’un système de règles si rigoureux qu’il éteindrait tout choix et contraindrait à chaque coup à une action automatique, ne laissant qu’un seul déplacement possible. Une telle distinction rend bien compte de ce qu’il peut y avoir de tragique d’avoir à se situer sous des règles intangibles (la tentative pour sortir du jeu se paie, pour le jeune Wallace, par la mort, comme celle d’y revenir se solde pour Omar par une fin sans gloire) ; mais son défaut est de laisser croire que chaque joueur déploierait, en se référant à des règles préalables, une action stratégique visant à maximiser sa position individuelle. A maints égards, la série donne à voir l’inverse : la loyauté y est la norme, la trahison l’exception, l’habitude assurant la prééminence de la première sur la seconde. Si The Wire n’est certes pas la première oeuvre à souligner combien le monde de la loi et celui des truands se ressemblent profondément, le parallèle y prend un sens plutôt inhabituel. En effet, il s’agit moins de diagnostiquer l’incurie d’une police devenue semblable à ceux qu’elle combat (corrompue et manoeuvrière), que d’étendre à la vie des gangs le tableau des vertus policières (dévouement et respect de la chain of command), vertus dont les flics en tenue font montre dans leurs élans d’héroïsme parce qu’ils l’exercent d’abord dans leurs tâches ordinaires. Si Carver et Herc sont bien sûr tentés de piquer, à l’occasion, dans les liasses de billets qu’ils saisissent, si l’on s’autorise de temps à autres un passage à tabac, ces infractions font sourciller : il faudrait ici décrire l’hilarante symétrie entre le jeu de sourcils de Daniels et celui de Bunk, les froncements de l’un et les haussements de l’autre dessinant à l’écran les limites à ne pas franchir. De même, de l’autre côté, le franchissement d’une frontière non-dite est aussitôt repérée : à la demande d’abattre un sénateur, le tueur refuse, objectant à Stringer Bell : « Murder ain’t no thing. But this is an assassination » (S3, E13). Ces transgressions soulignent, par contraste, la grande docilité qui voit les inspecteurs, ici, et les hoppers, là, s’efforcer de jouer leur rôle, d’endurer tant bien que mal la dégradation continue de leurs conditions de travail et le caractère globalement aberrant des ordres qu’ils reçoivent, ou la sévérité des peines qu’ils acceptent de purger pour, plutôt que de balancer (snitch, insulte suprême), sauvegarder l’équilibre de l’ensemble.

Logique de l’intérêt bien compris, claire conscience des règles du jeu ? Ni l’un ni l’autre, sans doute : l’horizon de la sanction ou celui de la récompense ne suffisent pas à rendre compte de cette fabrique de l’obéissance, ou de ce qu’il faudrait nommer un consentement (en laissant entendre, dans le mot, l’immédiateté du sentir) ; quant à la conscience, est plutôt à la remorque, la phrase « it’s all in the game » justifiant par après ce qui, pour les acteurs, n’avait d’abord nul besoin de s’énoncer sous la forme d’une loi explicite, puisque la maxime était déjà incorporée à leur comportement le plus habituel et réactivée par chacune de leurs confrontations aux autres. Sur ce point, les choix narratifs de la série sont décisifs : s’il fallait gloser la thèse du second Wittgenstein selon laquelle suivre une règle ne suppose pas de se la représenter consciemment avant de l’appliquer, il suffirait de comparer la minceur du « paratexte » (laconisme des titres, absence de voix-off ou de personnage jouant les bons offices auprès du spectateur), avec l’écriture minutieuse des scènes dialoguées où un ordre est donné et reçu, où les consignes passent sans devoir être dites, où chacun rejoint silencieusement la position qui est la sienne ou s’éprouve au contraire déplacé. C’est d’abord affaire d’ethos, plus que de vigilance : d’Angelo Barksdale se sent déplacé dans le restaurant chic où il invite sa compagne, de même que l’histoire de coeur entre Jimmy Mc Nulty et l’assistante huppée du candidat à la mairie tourne court ; et la recherche, au ras des postures et des corps, de la bonne attitude conduit à l’occasion à des quiproquos tour à tour affligeants et comiques (lorsque dans un couloir d’hôpital, un gradé placé face à un blanc et un noir prend par réflexe racial le blanc pour le policier « in charge », et lui présente ses condoléances ; ou lorsque Stringer Bell, ayant convié les gangs à une réunion, sermonne l’un des participants qui, enhardi par cette ambiance de conseil d’administration, s’est sans y songer pris à prendre des notes pour établir les minutes de la rencontre : « Nigger, is you taking NOTES on a criminal fucking conspiracy ? », S3, E13).

Le jeu, en bref, n’est pas à sa base peuplé d’homo oeconomicus, calculant avec lucidité les bénéfices comparés de leur loyauté ou de leur traîtrise, et dont la mise en scène viendrait souligner les intentions ; mais de personnages dont le spectateur est convié à mesurer, avec l’étroitesse de leur horizon, la force des appartenances qui les constituent et les traversent, cette puissance du familier que la fréquentation au long cours d’une série télévisuelle permet de partager avec eux (et qu’est-ce d’ailleurs que le « jeu » d’un acteur de série, sinon d’abord sa capacité à instaurer la familiarité d’une silhouette, la proximité d’un geste ou l’habitude d’une mimique ?). Frappe du coup la manière dont cette option descriptive, qui évoque à l’occasion le documentaire animalier, ne verse pas pour autant dans le tableau naturaliste d’un monde où chacun, flic ou gangster, serait au fond à sa place. Au contraire, il sous-tend et alimente le diagnostic politique : ici, du côté de la Loi, il porte à mesurer la façon dont la hiérarchie gâche et violente les ressources que pourrait lui offrir l’enracinement chez les agents des valeurs policières, cette exigence indéfinie mais parfaitement reconnue que nomme l’expression « to be good police » ; là, dans la Rue, il conduit à se demander par le jeu de quelles conditions sociales le poids du consentement peut l’emporter sur tout autre lien, et conduire de jeunes gens à abattre leurs anciens copains d’école. 

« The game », ainsi, n’est pas d’abord un jeu de stratégie ; ou plutôt, toute la question est de comprendre comment la logique du jeu stratégique vient s’articuler à cet ordre premier des appartenances, des gestes et des habitudes, pour y prendre appui, le relayer, s’en servir, ou au contraire le contrer, le briser, le mettre en miettes. Problème d’Avon Barksdale : d’un côté, articuler la rationalisation du trafic aux solidarités familiales, incorporer l’usage des pagers aux gestes quotidiens des dealers ; d’un autre côté, déjouer par un surcroît de précautions et de vigilance  la passivité et le relâchement qu’implique une conduite devenue habituelle (et que guette, de l’autre côté de l’écoute téléphonique, Lester Freamon : « des habitudes se prennent, ils deviennent moins prudents… ») – ce mixte d’attachement à l’ethos du gangster et à la paranoïa du guerrier dessine exactement la silhouette du personnage d’Avon. Problème de Stringer Bell : arracher le marché de la drogue à sa logique artisanale et territoriale pour y introduire l’effet de levier d’un savoir économique rigoureux, lunettes minces au bout du nez ; mais venir buter et mourir sur l’incapacité de se débarrasser des stigmates de la rue pour saisir de l’intérieur les connivences qu’exigerait l’intégration à une nouvelle sphère sociale, et sur le retour des lois non-écrites du code d’honneur et de la vengeance, pour lesquelles l’argent ne compte pas. Problème de McNulty : être si profondément flic qu’on en vient à initier ses gosses à la pratique de la filature…

On ne dira donc pas que The Wire chante, de manière univoque, les louanges d’une communauté éthique tissée d’habitudes séculaires, contre les coups de boutoir du calcul politique et économique (la terrifiante mère de d’Angelo Barksdale en représenterait peut-être la parfaite synthèse). Force est pourtant de constater qu’une double histoire se raconte, de saison en saison, et qui concerne justement la manière dont le game et le play vont être arrachés l’un à l’autre, la partie soumise à des règles qui, indifférentes à la pratique du jeu et exigeant des individus qu’ils se comportent comme des joueurs, la rendent aussi invivable qu’impraticable : histoire de la manière dont les rationalisations croisées du capitalisme et du new management tendent à désarticuler tout ce que l’ordre des savoir-faire peut porter de consistant, de fécond ou de créateur – pliant absurdement le temps de l’enquête policière au décompte chiffré des objectifs dont la mairie pourra s’enorgueillir, ou l’apprentissage scolaire à la nécessité de ne retenir que ce qui sera finalement évalué, par des tests statistiques dont la réussite conditionne le financement des écoles ; et conduisant, dans la rue, au règne d’un Marlo indifférent à tout, sauf à l’éclat de son nom (Marlo, personnage que David Simon définit comme « le résultat logique du capitalisme effréné et de la rue (…) le résultat ultime de trente ou quarante ans d’élaboration de cette culture de la drogue basée sur la violence, le profit maximum et la déshumanisation »).

Histoire, aussi, de la manière dont peuvent céder ou insister, sous l’individualisation que porte en elle la logique stratégique, les liens d’appartenance communautaire sans lesquels il n’est pas d’individuation positive, au simple sens d’une chance de grandir (pour les enfants que Wallace nourrit comme il peut de chips et de canettes, dans la saison 1), de se battre (pour les dockers syndiqués de la saison 2), de s’en sortir (pour Bubbles rencontrant les narcotiques anonymes), ou de découvrir ce pour quoi l’on est véritablement fait (pour Prez découvrant ses dons en cryptographie au sein de l’équipe réunie autour des écoutes). On notera que c’est de ce côté que la série peut frôler, à l’occasion, l’édifiant ou la naïveté, jusque dans la naïveté réfléchie d’un Stringer Bell rêvant une coopérative de trafiquants : c’est qu’il y a là, peut-être, quelque chose à la fois d’un message et d’un deuil – deuil d’une community, point focal de la culture politique américaine que figurent, en vis-à-vis, le destin de la communauté noire de Baltimore dont la série fait son paysage, et la grande scène de veillée funèbre (S3, E3), réitérée dans le dernier épisode de la série. Ce n’est pas un hasard, sans doute, si la force du rituel et la puissance de la communauté trouvent à se nouer autour du cadavre d’un flic, allongé sur le billard du pub, au son de l’hymne des Pogues The body of an american.

Ruses, phrases, échecs

Parler de deuil toutefois revient encore à se situer à la verticale des personnages, dans le surplomb d’une fresque sociale, quand The Wire force à se demander comment l’on continue à jouer, et parfois à bien jouer, lorsque le jeu globalement tourne très mal. A cet égard, on devra distinguer deux types de postures, dont la seconde seule donne son mouvement à la série : il y a ceux qui jouent pour gagner (un poste de juge, de maire ou de procureur, un nouveau territoire pour la vente de drogue – mais ceux-là se déplacent en somme dans un espace défini d’avance), et ceux qui sont commis à inventer une manière de jouer par la clôture même de toutes les possibilités susceptibles de se présenter à eux, autrement dit placés devant l’irrécusable perspective de perdre. On notera ainsi que l’installation de tables d’écoute (S1, E6), qui donne son argument et son titre à la série, se décide durant une scène où juge et commissaire soulignent combien cette décision est conditionnée, administrativement, par l’obligation d’avoir à faire la preuve de ce que toutes les autres procédures, tous les recours ordinaires offerts par l’arsenal policier, ont échoué. Seul un décompte rigoureux de ces échecs autorisera la cellule, installée dans les sous-sols du commissariat, à investir les toits pour photographier ceux qui téléphonent et à espionner les dealers ; la défaite initiale devra être dûment couchée sur le papier avant même que la partie ne commence vraiment. « You cannot lose if you do not play », murmure ailleurs la femme de Cédric Daniels ; avertissement qui pourrait aussi bien être retourné, you cannot play if you do not lose, tant un certain nombre de rôles-clefs dans le déroulement de l’intrigue actionnent celle-ci du fond de leurs fiascos présents ou passés – Lester Freamon, grand flic relégué depuis vingt ans à des tâches administratives, « Bunny » Colvin, gradé en fin de carrière et dont la décision de légaliser la vente de drogue procède directement de son incapacité à satisfaire les objectifs fixés par la hiérarchie, Jimmy Mc Nulty, qui n’inventerait pas le serial-killer fantôme de la saison 5 s’il n’était, d’abord, un loser à tous égards. Non pas, exactement, que ces personnages n’aient plus rien à perdre, justification ordinaire et fausse de l’héroïsme (on a toujours à perdre, ne fût-ce que la vie, la garde des enfants ou sa réputation) ; plutôt, ils ont déjà perdu, ce qui d’un même trait les protège et leur crée une forme d’obligation supérieure.

Encore le terme de loser serait-il insuffisant ou inexact, tant cela laisserait accroire que The Wire se contente d’héroïser l’échec et de le renverser en puissance de rompre les digues, motif ressassé du cinéma américain. D’abord, parce qu’il y a perdre et perdre : si « nous ne pouvons gagner », murmurent les flics devant le spectacle d’un gang en bastonnant un autre pour reconquérir son territoire, c’est que « quand ils merdent, ils prennent des coups ; quand on merde, ils nous donnent des retraites » (« They fuck up, they get beat. We fuck up, they give us pensions », S1, E13). Plus profondément, la défaite annonce sa réitération, comme la scène qui ouvre toute la série l’indique bien (S1, E1). Assis face au cadavre d’un nommé Snort, McNulty se fait raconter quelle fut sa vie par un voyou du quartier : chaque soir, ils s’installaient à plusieurs dans l’arrière-cour pour jouer aux dés ; chaque soir, Snort ne pouvait s’empêcher de faire main basse sur la mise et de tâcher de s’enfuir avec ; et chaque soir, ils le poursuivaient et lui cassaient la gueule. « Et, chaque fois, vous le laissiez de nouveau jouer ? » demande McNulty, à quoi l’autre répond sobrement : « It’s America ». Perdre, s’enfuir, perdre encore, recommencer le lendemain, mourir. L’apologue rappelle combien, si l’intrigue choisit plutôt ses perdants magnifiques dans les rangs de la police, la leçon vaut d’abord et avant tout pour les voleurs dont les trafics s’enlèvent sur le fond de milliers de vies catastrophées ; il indique surtout que le fait d’avoir échoué ne dispense pas de perdre encore celui qui y trouve, à bout de ressources, le ressort de trouver une autre façon de jouer, ni ne le prémunit contre de plus dures défaites. Cela ouvre seulement, dans l’intervalle, l’espace d’un geste inédit, au moins la première fois (les écoutes, de même, se répèteront de saison en saison, grosses d’autant d’espoirs que de lassitude) et la possibilité d’une phrase, d’une histoire, que sa drôlerie situe à mi-chemin de l’oraison funèbre et de l’analyse politique. 

Quelle consistance donner à cette dimension interstitielle ? Dans sa grande introduction aux Arts de faire, Michel de Certeau donne un sens nouveau à la distinction entre stratégies et tactiques, les secondes ne se contentant pas de s’emboîter sous les premières, mais dessinant aux marges de celles-ci comme un contre-espace dont la particularité est d’être sans assise : là où la stratégie peut s’adosser à un lieu susceptible d’être circonscrit comme un « propre », il appelle tactique « un calcul qui ne peut pas compter sur un propre, ni donc sur une frontière qui distingue l’autre comme une totalité visible. La tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. Elle s’y insinue, fragmentairement, sans le saisir en son entier, sans pouvoir le tenir à distance ». En ce sens, The Wire est une encyclopédie de tactiques, qui s’intercalent chaque fois qu’une règle supérieure laisse subsister sous elle la possibilité d’une liberté précaire. On y croise des ruses instantanées – lorsque l’avocat des dealers n’est pas encore arrivé pour intimer à l’interpellé de se taire, faire écrire à ce dernier une lettre d’excuses aux enfants de celui qu’il a abattu, quitte à lui mettre sous le nez une photo de famille attrapée au vol sur le bureau d’un collègue ; ou faire passer la photocopieuse pour un détecteur de mensonges ; ou, du côté des gangsters, retourner les panneaux de rue, pour égarer les voitures de patrouille. On y retrouve la tradition de la « perruque » ouvrière – lorsque le gradé notifie les nouveaux objectifs aussi abstrus qu’impraticables, récupérer au moins le classeur, dont les gosses pourront se servir comme matériel scolaire, ou user de son temps libre pour fabriquer et vendre (cher) des meubles pour maison de poupées (et s’en servir pour séduire une fille). On y tourne l’autorité en farce, quitte à avoir ou à causer de gros ennuis – lorsque les syndicalistes expédient un van de police par conteneur maritime, ou lorsque Marlo chipe la caméra censée le surveiller. On y table sur ce que laisse tomber la norme pour tenter des coups dont le caractère inimaginable, justement, est la seule garantie : quartiers sacrifiés, où on légalisera la drogue ; maisons abandonnées, où l’on cachera les cadavres ; morts inintéressantes, que l’on attribuera à un serial-killer pour poursuivre une enquête dont personne ne veut plus entendre parler. L’ensemble de ces gestes fait écho, au fil des épisodes, à l’évocation régulière d’une mémoire d’en-dessous faite de récits mythiques, de truands fameux et de surnoms attribués une fois pour toutes, dont le légendaire vient doubler l’amnésie officielle des promesses non-tenues, des projets immobiliers effaçant la mémoire industrielle de la ville ou des dossiers oubliés sitôt que refermés – à peine Herc a-t-il vaguement l’impression, deux saisons plus tard, que le nom d’Avon Barksdale lui dit quelque chose (S3, E6). 

Mais c’est surtout dans le langage que cette pratique de l’écart trouve à se déployer à plein, bataille dont le spectateur francophone est commis à ne saisir que de lointains grondements. Si, depuis au moins quinze ans, une lignée de séries américaines mettent en scène (d’Urgences à The West Wing) des nappes de discours que leur ancrage géographique et professionnel situent aux limites de l’intelligible, les dialogues de The Wire redoublent cette étrangeté d’une distension intérieure permanente et multiple : écart, bien sûr, du discours de la loi au discours de la rue, obligeant les policiers à de pénibles retraductions des messages dont, d’avoir percé le chiffrage, ils sont loin d’avoir encore saisi le sens ; mais écart, tout autant, du discours de l’autorité aux termes orduriers que son ascendant l’autorise à manier, striant son phrasé policé d’injures comme autant de manifestations de son surcroît de force. De même, du côté des cités, la modulation d’un « yo » suffit à faire entendre la peur que le destinataire inspire (« yo, String ! »), et la manière dont le sénateur Clay Davis rappelle, en étirant interminablement son « shiiiiiiiiiiiiiit », qu’il tire son pouvoir de sa connivence avec une communauté noire auprès de laquelle il entend faire passer sa corruption pour une marque de débrouille, de truculence et de réussite.

Si le langage est peut-être le véritable personnage central de The Wire, c’est qu’il joue au moins trois rôles essentiels et enchevêtrés, traversant toutes les strates du jeu que nous avons distinguées : marqueur d’appartenance, il retrempe les formes d’un entre-soi où les acteurs trouvent d’abord à se définir, à parler pour dessiner ce qui entre eux va sans dire (ainsi de McNulty et Bunk, à qui il suffit de murmurer « fuck » pour mener en commun un travail muet d’investigation qui rend à jamais insupportable la moindre scène des Experts, ou qui peuvent s’assurer mutuellement de leur amitié en faisant délirer, au pub, les mots de l’échange homosexuel, S1, E7). Vecteur de pouvoir, il trace en permanence le diagramme des dominations stratégiques qui s’exercent pour autant qu’elles se disent, mais s’exposent aussi en s’énonçant à se voir déjouées dans l’ironie, renversées dans l’humour : ainsi le juge Phelan entend-il tenir la bride serrée à McNulty en maniant alternativement la domination symbolique (lui reprochant en public ses fautes d’orthographe) et le paternalisme d’un « who’s your daddy now ? », formule que McNulty retournera en constat amer lorsque le juge aura fait primer son ambition professionnelle sur le soutien qu’il apporte à l’enquête.  Ainsi encore, faut-il à l’énorme sergent Jay Landsman toutes les ressources de l’obscénité pour amadouer son chef, celles de la moquerie pour tenir ses troupes, ses répliques inscrutables pour jouer le rôle de courroie de transmission entre les ordres reçus et la culture policière de ceux qu’il a sous ses ordres. Le langage, enfin et peut-être surtout, est un opérateur de singularisation, en ce qu’il double l’inscription sous les règles communes de la possibilité d’y faire entendre, et jouer, une variation propre, comme un méandre ou un bief dans le flot des paroles échangées. Bunk : « a man must have a code », Omar : « oh, no doubt ». Dans une série dont le décryptage des messages est l’argument central, l’échange ne peut s’entendre seulement comme une référence au code d’honneur ; ou plutôt, il souligne combien l’adoption, par chacun, de règles éthiques fait corps avec l’invention d’un code singulier, d’une manière de dire – tactique dont le « indeed » d’Omar, mot de haut langage glissé dans le code de la rue, serait comme le blason. 

Ce n’est pas grand’chose, sans doute, et Omar mourra sans phrase abattu par un gamin. Mais à l’extrémité de ces écarts de langage, et comme le rêve d’une victoire entraperçue à travers l’échec, il y aurait dans cette série bavarde, et lorsque percent ces codes singuliers, le rêve d’interrompre enfin le flux de mots qui ne servent qu’à reconduire, adoucir ou sanctifier la défaite – rêve auquel les réalisateurs ont bien voulu donner in extremis sa chance, en rendant le maire Tommy Carcetti  incapable pendant deux bonnes minutes de proférer un son, lorsqu’il découvre que le serial-killer sur lequel il a bâti sa communication politique était lui-même un rêve, une ruse de dominé (S5, E10) . Faire taire le pouvoir ? On se tait, à son tour. C’est à voir.

Mathieu Potte-Bonneville


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