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Intervention au British Film Institute, dans le cadre des Philosophical Screens (London Graduate School / CIPh). 25 avril 2012.
L’Exercice de l’Etat est un film étrange, pour deux raisons principales, qui définissent sa tonalité, son ambiance très particulière.La première étrangeté concerne le registre de narration choisi par le film. L’Exercice de l’Etat, en effet, ne cesse d’osciller entre deux registres : d’une part, la description précise de la vie d’un cabinet ministériel et de la « profession de politique » (pour reprendre la formule de Max Weber) : agenda surchargé, lutte entre ministres, utilisation des règles institutionnelles pour neutraliser un opposant, opérations de communication, contraintes budgétaires et choix gouvernementaux, etc. D’autre part, le récit est ponctué de scènes violentes (l’accident de car et l’accident de voiture ne sont que les deux scènes les plus marquantes, mais on pourrait penser aussi à la scène de la fête dans le bureau ministériel, aux réveils difficiles du ministre, à la dispute et à la beuverie avec le chômeur et sa compagne). On ne peut pas opposer « l’irréalité » de l’un des registres vis-à-vis de l’autre (comme s’il s’agissait de rappeler que, derrière les illusions de la politique, c’est de personnes réelles qu’il est question). En un sens, le film est deux fois « réaliste » : mais le mot de réalisme renvoie tantôt au choix de décrire minutieusement la vie politique, jusque dans ses aspects les plus ennuyeux, et tantôt au réalisme physique avec lequel des expériences violentes sont restituées. Du coup, ces deux formes de réalisme se contredisent ou se contestent l’une l’autre, dans une forme de tension permanente entre le plan des institutions ou des idées, au sens large, et le plan des corps, de leurs excès, de leurs rencontres et de leurs blessures ; et c’est cette tension qui fabrique le mélange entre l’intensité du film et le sentiment d’irréalité qu’il dégage.
La deuxième étrangeté concerne la mise en scène du suspense. L’Exercice de l’Etat n’est pas la première fiction à jouer du contraste entre un problème très prosaïque (« faut-il privatiser les gares ? ») et une mise en scène qui en dramatise les enjeux : ici, la lutte d’un homme minoritaire au sein de son gouvernement, et le conflit entre éthique de conviction et éthique de responsabilité (faut-il démissionner ou se soumettre ?), conflit incarné par le rapport entre le ministre et son conseiller. On peut songer, par exemple, à de nombreux épisodes de la série The West Wing, qui jouaient aussi sur ce type de contraste, sans ironie (il ne s’agit pas de montrer que l’enjeu est ridicule, par rapport aux affects des personnages) mais avec le souci de faire partager au spectateur les passions et les tourments des acteurs de la politique professionnelle. Ce qui est toutefois remarquable dans L’Exercice de l’Etat, c’est la façon dont le film efface ou met à distance tout ce qui pourrait donner un sens et une importance à ce conflit. On peut ici parler d’un quadruple effacement : le premier effacement, le plus évident, concerne les enjeux idéologiques au nom desquels les personnages agiraient ; nous ne savons pas quelle est la couleur politique du gouvernement, même si l’on peut supposer que celui-ci est plutôt de centre-droit (encore que la question de la privatisation des services publics ait été posée sous de nombreux gouvernements de gauche en Europe !) ; et les raisons qui portent le ministre à s’opposer à la privatisation des gares ne sont pas vraiment explicitées au cours du film. Le deuxième effacement concerne le peuple, même si il apparaît dans les marges du film (les reportages à la télévision, à propos des manifestations), et à travers le personnage du chômeur devenu chauffeur – personnage dont le trait le plus frappant est le mutisme ; pour l’essentiel, ici le peuple se tait, ou son grondement demeure en tout cas intermittent et lointain, ne surgissant qu’en brèves saccades (à la manière dont la musique intervient dans une sorte de ponctuation erratique et grinçante, laissant penser que d’autres drames se jouent derrière la scène, dont nous ne saurons rien). Le troisième effacement concerne l’opposition : pour l’essentiel, le conflit se joue ici non entre le gouvernement et l’opposition, mais entre le Ministère des transports et celui du Budget, donc dans une forme de clôture de l’exercice politique sur lui-même. Le quatrième effacement enfin (et j’y reviendrai) concerne l’acte politique par excellence : l’acte de décider, d’exercer une forme de décision souveraine ; la décision ici semble à la fois impuissante ou ailleurs : le ministre ne réussit à rien décider (même pas à remplacer sa conseillère en communication, ou à garder son directeur de cabinet) ; il ne réussit pas à ne pas être « le ministre de la privatisation des gares », et lorsqu’il y parviendra, c’est seulement parce que le Président de la République lui confie un autre ministère – la privatisation se fera, mais elle sera le fait d’un autre ministre, de sorte que Bertrand Saint-Jean échoue à la fois à décider de privatiser les gares, et à décider de ne pas les privatiser.
La question que l’on pourrait se poser est alors la suivante : quel rapport entre le registre choisi par le film (cette manière de se situer en même temps dans le « gris » des institutions et dans le « rouge » du sang, des corps malmenés), et cette façon de clore le suspense sur une vie politique dont le réalisateur retire tout un ensemble d’éléments qui pourraient permettre d’en dramatiser les enjeux ?
Il me semble que, pour comprendre cette connexion, on est ici renvoyés au titre du film, à la manière dont ce titre énonce avec sécheresse ce qu’il s’agit de montrer : « l’exercice de l’Etat ». Deux remarques, sur ce titre. 1/ La formule retenue est passablement étrange : on s’attendrait davantage soit à un titre plus convenu et plus dramatique (« l’exercice du pouvoir »), soit à un titre conceptuellement plus rigoureux, si on veut désigner la manière précise d’exercer un pouvoir institutionnel : « l’exercice du gouvernement ». Dans les catégories philosophiques traditionnelles, en effet, on « n’exerce » pas « l’Etat » : l’Etat est une idée ou un principe, distinct de la personne privée des personnes qui exercent effectivement le pouvoir, distinct aussi de cette instance particulière qu’est le gouvernement, ou le pouvoir exécutif. L’Etat est cette réalité institutionnelle unifiée, permanente et anonyme, dont le gouvernement est l’un des instruments, et qui se maintient à la fois au-delà des différentes personnes qui gouvernent, et des différentes manières dont elles gouvernent. On voit que le titre comprend, en lui-même, une certaine tension ou une certaine violence, entre un être (« l’Etat ») et un faire (« l’exercice »). 2/ Le titre, d’autre part, peut s’entendre en deux sens (comme on le sait, en latin, il y a deux sens du génitif (« la peur des ennemis » peut désigner « la peur que les ennemis éprouvent » ou « la peur que m’inspirent les ennemis »). Ici, parler de « l’exercice de l’Etat », cela peut donc vouloir dire : la manière dont les hommes politiques exercent le pouvoir d’Etat, ce qu’ils font au nom de l’Etat ; et la manière dont l’Etat s’exerce à travers eux, voire exerce des effets sur eux, les transforme, les affecte.
Je crois qu’en resserrant l’intrigue comme il le fait (en éliminant les questions d’idéologie, etc) le film nous rend sensible à ces différents points. D’abord, il nous montre comment être ministre, c’est d’abord et avant tout « exercer l’Etat » plutôt que gouverner. Il n’est pas sûr du tout que les hommes politiques présents dans le film gouvernent quoi que ce soit ; d’abord, ils ne cessent d’être eux-mêmes entièrement pris dans une série de contraintes qui les dépassent, ils sont en réalité gouvernés (par l’agenda médiatique, par la nécessité de réagir aux catastrophes, ou de répliquer aux pièges tendus par d’autres ministres, etc) ; ensuite, le dialogue entre le conseiller du ministre et son interlocuteur qui a décidé de passer dans le privé souligne combien le pouvoir de gouverner n’est peut-être plus du tout détenu par l’Etat – l’Etat n’a plus le pouvoir, parce qu’il n’a plus les moyens financiers de mettre en oeuvre sa politique, etc. Donc, les hommes politiques ici ne gouvernent pas – ils font autre chose, qui consiste à représenter ou à incarner l’Etat, comme pure puissance de nommer le réel. Deux scènes le montrent clairement : l’interview du ministre suite à l’accident de car (il faut « mettre des mots » sur l’horreur et le drame), et l’échange dans la caravane où le ministre répond à la compagne du chômeur en énumérant, à moitié saoûl, les centres hospitaliers des différentes villes de France. L’Etat, ici, c’est une certaine manière de faire passer la réalité physique des corps, ou des expériences vécues, dans la forme d’un discours ou d’une nomenclature – c’est aussi pourquoi, lors de l’enterrement où la famille a demandé qu’il n’y ait pas de discours, le ministre doit prononcer pour lui-même son propre discours, sa voix intérieure se supersposant à celle du prêtre ; il ne peut pas envisager que sa propre culpabilité intime ne soit pas traduite dans une forme de discours, qui lui donne la solennité de la parole politique.
Soyons plus précis : cet Etat qu’il s’agit d’exercer, c’est l’Etat contemporain, ou l’Etat démocratique (il faudrait préciser peut-être « l’Etat démocratique en France ») : à la fois comme Etat central, et comme Etat susceptible de se porter sur tous les points du territoire, d’être présent auprès de chaque événement particulier. Pour employer le vocabulaire de la philosophie, il faudrait dire que l’Etat ici est à la fois transcendant et immanent : à la fois immobile et toujours à son bureau, comme le personnage joué par Michel Blanc, et en déplacement perpétuel, comme le Ministre dans sa voiture (quitte à « aller au contact » avec les syndicalistes). Il est d’ailleurs intéressant de noter que le film renverse la distribution des rôles que l’on pourrait attendre : dans la théorie politique classique, on pourrait s’attendre à ce que l’homme politique, parce qu’il représente directement la souveraineté, soit au centre, et laisse à l’administration le soin de « couvrir » le territoire ; or ici, c’est le personnage joué par Michel Blanc qui reste à sa place, et écoute le discours de Malraux évoquant les grands principes de la République, alors que c’est Bertrand Saint-Jean qui ne cesse de courir et de se porter au chevet de tous les problèmes sociaux. Tout se passe comme si l’Etat démocratique avait renversé les rôles par rapport à l’ancien régime : ce n’est plus le roi qui est au centre, et l’administration partout ; c’est le roi qui court en tous sens, se portant au chevet de chaque situation à la façon du gouvernant dont Platon rêvait dans Le Politique ; et c’est l’administration qui hérite de la fonction de centralité et de continuité de l’Etat.
Il faut donc que l’Etat s’exerce ; et en même temps, il faut exercer l’Etat. C’est ici que nous retrouvons la circulation entre les deux points de vue, entre le plan des idées et le plan des corps, que j’évoquais en commençant. En fait, le film peut et doit être lu de deux façons : d’un côté, pour qu’il y ait Etat, pour que l’Etat existe et fasse exister les symboles de la politique, il faut que les hommes l’exercent, c’est-à-dire puisent dans leurs propres désirs et leur propre énergie ; c’est ce qu’indique la dimension « dionysiaque » de Bertrand Saint-Jean, qui fume, boit trop, est sexuellement excité ; ce sont aussi les conseillers qui font la fête, ou le conseiller qui prépare la cuisine, et dont on a l’impression qu’il puise dans son propre corps l’immobilité nécessaire à assurer la stabilité de l’Etat. C’est une première ligne de lecture : sous l’illusion de l’Etat, le désordre et les exigences des corps. Mais d’un autre côté, à travers toute cette agitation, on peut tout aussi bien dire que c’est l’Etat qui agit. C’est le sens de l’Etat qui amène le conseiller à démissionner ; mais c’est le sens de l’Etat qui conduit le ministre à accepter une décision qu’il avait d’abord refusée, puis à se séparer de son conseiller parce que le président le lui demande. C’est l’Etat, aussi, qui permet de surmonter tous les événements, de leur donner un sens, de les réinscrire dans la continuité de la vie politique : après l’accident de voiture (alors que l’on s’attend à ce que le ministre soit balayé par le scandale), c’est la nécessaire continuité de l’Etat qui transforme la blessure du ministre en épreuve, et transforme sa lâcheté en courage. On dit parfois que « les hommes politiques ne meurent jamais », au sens où ils ont une sorte de capacité à survivre politiquement aux scandales et aux défaites – ce qui est vrai la plupart du temps. Mais le film donne un autre sens à cette expression : les hommes politiques ne meurent pas, parce que leurs malheurs ou leurs attitudes privés sont en quelque sorte transfigurés par le pouvoir souverain dont ils sont les dépositaires – on ne peut éviter de penser ici à la théorie des « deux corps du roi », formulée par Kantorowicz, selon laquelle l’origine de la souveraineté serait à trouver dans la théorie médiévale selon laquelle le roi a un corps mortel, et un autre corps éternel et impalpable qui est l’Etat lui-même. Ici de même, les hommes politiques voient leur corps physique transformé en instrument, au service d’un déroulement nécessaire et qui les dépasse.
La force du film tient à la manière dont il parvient à offrir en même temps les deux lectures : l’une, qui démystifie l’Etat au nom des corps (sous l’Etat, les corps) ; et l’autre, qui montre l’action immatérielle et supérieure de l’Etat à travers les corps. Le personnage du ministre recueille entièrement cette tension : il incarne l’Etat, ce qui veut dire que d’un côté, il soutient l’Etat de toute l’énergie de son désir ; de l’autre côté, il paye à l’Etat un prix élevé, qui est un prix physique (il vomit, il se passe de la glace ou de la neige sur le visage, il tue les autres et se blesse lui-même). C’est pourquoi on ne peut pas démêler ce qui, dans son attitude, relève de la sincérité (il est visiblement sincère, et il lui faut cette sincérité pour jouer son rôle) et ce qui relève du cynisme (puisqu’il fait finalement le choix de revenir sur sa position, au risque de se séparer de son conseiller). On pourrait dire, en d’autres termes : ce que le personnage du ministre met en scène, c’est la passion, au double sens psychologique et théologique du mot « passion » : les passions comme expressions du corps ; et la passion (au sens de la passion du Christ) comme sacrifice du corps au nom d’un principe absolu. A contrario, les personnages féminins du film se distinguent par la limpidité de leur teint : à l’exception de Zabou Breitman, conseillère en communication dont le visage est comme griffé par sa fonction, le pouvoir est sans prise sur elles dans la mesure exacte où elles sont sans prise sur lui.
Evidemment, en parlant à la fois d’incarnation et de passion, nous glissons ici du domaine de la politique à celui de la théologie. Dans l’un de ses cours au Collège de France, Michel Foucault recherche, dans la réflexion des premiers chrétiens sur l’art de « conduire les âmes », les origines de la gouvernementalité moderne : ce serait la pastorale chrétienne qui aurait donné naissance, ensuite, aux arts de gouverner ; autrement dit, là où la philosophie recherche d’habitude le lien entre théologie et politique au niveau des principes fondateurs de l’Etat (en réfléchissant à la souveraineté, au rapport entre l’autorité du Pape et celle de l’Empereur), il faudrait chercher le rapport entre religion et politique au niveau de l’action du gouvernant – au niveau de l’exercice. Il écrit alors : « S’il y a bien, dans les sociétés occidentales modernes, un rapport entre religion et politique, ce rapport ne passe peut-être pas pour l’essentiel dans le jeu entre l’Eglise et l’Etat, mais plutôt entre le pastorat et le gouvernement. Autrement dit le problème fondamental, du moins dan l’Europe moderne, ce n’est sans doute pas le pape et l’empereur, ce serait plutôt ce personnage mixte ou ces deux personnages qui bénéficient dans notre langue (…) d’un seul et même nom, à savoir le ministre. C’est le ministre, dans l’équivoque même du terme, qui est peut-être le vrai problème, là où se situe réellement le rapport de la religion et de la politique ». (« Leçon du premier mars 1978 », in Il faut défendre la société, p.195). Le « ministre », ce serait donc à la fois celui qui administre, qui gouverne effectivement les hommes et les choses, et l’héritier du « ministre du culte », celui qui fait advenir la réalité du divin par la liturgie.
Giorgio Agamben a récemment donné un prolongement impressionnant à cette idée, dans son livre Opus Dei, en revenant sur les sources théologiques de ce qu’il appelle «l’office », c’est à dire tout d’abord le rôle du prêtre, et plus largement toute action réalisée au nom d’un principe supérieur, et à travers laquelle ce principe supérieur se réalise : « l’office, qu’il prenne les apparences modestes du fonctionnaire ou les apparences glorieuses du sacerdoce, a modifié de fond en comble les règles de la philosophie » (p.13). De cette archéologie complexe, je voudrais retenir essentiellement trois éléments, qui font écho de manière très frappante avec le film.
Le premier élément, c’est la façon dont Agamben définit la liturgie chrétienne : la liturgie chrétienne, c’est, d’après lui « le ministère du mystère ». Tout le problème des théologiens est d’articuler le mystère, c’est-à-dire « le sacrement efficace, irrépétable, dont l’unique sujet et le Christ », et le ministère, c’est-à-dire « le quotidien de la liturgie de l’évque et des prêtres au sein de la communauté » (p.9). Or, ce qui va permettre de relier ces deux dimensions, c’est justement la liturgie, autrement dit le rite et sa codification étroite, rite par lequel à la fois les ministres du culte administrent la communauté des chrétiens, et en lequel se rejoue l’acte de salut effectué par le Christ. Etre ministre, c’est faire coïncider le rôle d’administrateur, et celui d’agent d’une opération par laquelle le Christ a effectivement sauvé le monde – c’est se situer simultanément du côté du plus prosaïque et du plus sacré, coïncidence que seule la liturgie rend possible ;
Deuxième point. Pour qu’il soit possible de donner aux actions du ministre cette signification transcendante, il faut que leur dimension subjective (l’intention que le ministre y met, les dispositions dans lesquelles il se trouve) se trouvent évacuées : « le lien éthique entre le sujet et son action se défait : ce qui compte, ce n’est plus l’intention droite de l’agent, mais seulement la fonction de l’action » ; « cela n’est possible qu’à la condition de diviser et de vider de sa substance personnelle l’action du sacerdoce qui, en tant qu’instrument animé d’un mystère qui le dépasse, n’agit pas vraiment ». (p.44) Autrement dit, et pour ce qui nous concerne, être ministre, c’est voir en permanence aboli le sens que l’on entend donner soi-même à son action, c’est accepter de se laisser traverser par la réalisation d’une action supérieure – c’est laisser l’Etat s’exercer à travers soi.
Mais en même temps – dernier point –, l’action « mystérieuse » ne se réalise pas si le sujet ne l’effectue pas en personne : il faut que la messe soit dite, et il faut quelqu’un pour la dire ; il faut un ministre pour y « mettre du sien », pour y investir ses dispositions et ses intentions privées, intentions qui, d’un autre point de vue, n’ont aucune importance. « Le sacerdoce est donc, en tant qu’instrument animé, ce sujet paradoxal à qui incombe le ministère du mystère » ; le prêtre doit faire coïncider en lui l’action transcendante, dont il n’est que l’instrument, et son activité propre, tout en reconnaissant que cette activité propre est sans signification, et doit disparaître sous sa fonction. On pourrait dire : être ministre, c’est avoir à réaliser en personne une action dont on doit simultanément reconnaître le caractère impersonnel, ou trans-personnel.
Giorgio Agamben conclut son analyse ainsi : « l’Eglise a inventé le paradigme d’une activité humaine dont l’efficacité ne dépend pas du sujet qui la met en oeuvre, et qui a néanmoins besoin de lui comme d’un instrument animé pour la réaliser et la rendre effective » (p.48) Il me semble que c’est exactement ce paradoxe que le film met en lumière, dans le champ politique – et il me semble que la question posée est celle du prix à payer pour un tel « exercice de l’Etat », ce qui laisse ouverte la question de savoir comment on pourrait échapper à une telle définition théologique de la politique.
Mathieu Potte-Bonneville