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Revenir, retenir.
octobre 2020.
Posted in Formes brèves 3 min read
Note sur la transgression. Previous La posture de l'écrivain Next

C’est un texte minuscule, écrit pour la brochure qui présente la saison automnale 2020 des spectacles vivants au Centre Pompidou.
De la façon dont il fut lu, partagé, apprécié cet octobre, je n’écrirai rien de plus : aux textes de circonstance, les circonstances impriment parfois de singuliers destins. Pour le retenir un instant, je le reprends ici.

L’image d’illustration est tirée d’un spectacle de Qudus Onikeku intitulé « Qaddish ». Cela convient aussi.

Dans la longue galerie des promesses d’éternité, l’idée de l’éternel retour tient une place à part tant elle porte chez Nietzsche une double leçon, comme deux accords dont chacun éveillerait en l’autre des harmoniques inaperçues. Chaque instant, bien sûr, est promis à revenir, et à revenir éternellement, dans sa gloire ou sa médiocrité : c’est là la grande leçon de cette idée, son accord majeur. Mais cela implique, comme un écho en mode mineur, que nous ne pouvons compter sur aucune autre éternité sinon celle des instants eux-mêmes, dont il est vain d’attendre qu’ils cèdent la place à une réalité plus solide ou moins provisoire, tant leur vacillement fugace circonscrit à jamais l’horizon de notre pensée, de nos émotions et de nos espérances. Ce qui se passe ici, maintenant, reviendra inchangé, ressuscitera toujours ; mais pour la même raison, il nous est interdit d’en différer l’expérience, d’y revenir plus tard, de le revoir en vidéo – c’est ici qu’il nous revient de nous porter à hauteur de l’événement. Maintenant, ou jamais ; maintenant, à jamais.

Les spectacles qu’on dit « vivants » – qu’on pourrait appeler aussi bien éphémères, puisque leur caractéristique est de se dissiper chaque fois dans le moment de leur accomplissement, au point qu’aucune représentation ne ressemble vraiment à celle de la veille – ont cette redoutable qualité, et le courage presque, d’habiter l’écart entre ces deux leçons. Installant dans l’éclat d’une brève séquence de temps l’ambition de faire œuvre, ils entendent rien moins que conjurer l’effacement et la disparition par un geste chorégraphique, un choix de mise en scène dont on se souviendra, et faire la différence dans ce mince interstice. Retenir ce qui passe non pas en le gravant dans la dureté du marbre, mais en le repliant dans le mouvement lui-même, comme on creuserait sa barque dans la pulpe d’une vague. Ou pour le dire avec les mots du chorégraphe Qudus Onikeku, l’un des hôtes de notre saison : « Le corps du danseur peut donc être considéré comme un musée intime, un grand protecteur des souvenirs, des sentiments, des espoirs, de toutes ces choses fugaces et de ces moments éphémères qui nous frappent à maintes reprises au cours de nos journées ».

Après un printemps confiné où une sorte d’éternel retour délétère nous vit vivre, et revivre encore, la même journée jusqu’à perdre la notion du temps, c’est cette promesse que voudrait porter la nouvelle saison des Spectacles vivants du Centre Pompidou : dans la proximité avec le musée national d’art moderne, et en connexion avec l’ensemble d’une programmation où toutes les disciplines conspirent à interroger le présent, revenir à la Grande Salle, y créer un musée d’éphémères instants qui ne passeront pas.


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