menu Menu
Face au dragon
Sacré Graal, Game of Thrones : faire délirer le Moyen-Âge.
Posted in Autour des images 25 min read
Citoyen, à quel sujet ? Previous Versions du platonisme - Deleuze, Foucault, Jullien Next

Un dragon peut en cacher un autre : convié par le Café des images à évoquer la publication de l’ouvrage Game of Thrones – Série noire (Les Prairies ordinaires), mais la série ne pouvant être projetée pour des questions de droits, je proposai de lui substituer une autre fiction médiévale – ce fut Monty Python and the Holy Grail (film qui m’occupe depuis longtemps) et la discussion avec Emmanuel Burdeau roula donc sur l’analyse comparée des deux visions du Moyen-Âge, avec le sérieux que l’on mettrait à disserter sur la capacité comparée des hirondelles d’Afrique et d’Europe à charrier une noix de coco.
MPB.

Lire sur le site du Café des images.

Emmanuel Burdeau : Vous avez écrit une brève présentation de la soirée pour le programme du Café des Images, dans laquelle vous citez l’historien Jacques Le Goff. Il aurait affirmé que Monty Python : Sacré Graal ! est le film le plus juste au niveau de la représentation du Moyen-âge.

Mathieu Potte-Bonneville. : C’est assez inattendu, n’est-ce pas ? Mais je peux voir ce qu’il voulait dire par cela. Le film déroule un programme narratif précis, avec une grande fidélité à l’histoire et la légende « arthurienne ». Les vertus et gestures de la chevalerie sont, de plus, précisément énumérés – la chasteté de Galahad en particulier. Selon Pierre Nora, autre historien, l’Histoire doit être comme un roman national; la base de travail des Monty Python est exactement ce roman national britannique. La quête du Graal est, après tout, une matrice fondamentale de la culture britannique. Les Monty Python respectent cette histoire tout en détournant tous ses éléments. Pour alimenter plus profondément la citation de Jacques Le Goff, la relation qui s’établit entre l’imaginaire et le réel – qui nous a beaucoup inspiré pour l’écriture de notre livre Game of Thrones, Série noire – est très singulier dans ce film. En plus des passages incessants entre la représentation du passé et du présent, le film est aussi réussi d’un point de vue poétique. 

Par exemple, le moment où Lancelot et Sir Bedevere discutent avec le vieux à l’œil blanc et ils se retrouvent d’un coup à la rivière au bord d’un feu. Ce saut brusque, cette sorte d’irrespect de la vraisemblance, est finement réalisé. Ce qui m’amène au troisième point, et qui nous rapprochera de Game of Thrones. Ce film est une histoire mondialement connue, la légende du roi Arthur, il est bâti sur un feuilletage de sources qui fabrique sa consistance. Ce film est l’adaptation d’un livre qui est lui-même une sédimentation de récits et il le fait voir jusque dans sa matière, sa manière de dérouler les pages du livre les unes après les autres. Je pense que Le Goff était sensible aussi à ce respect du matériau livresque, sa résistance dans la trame du film. Ceci pour dire que l’un des intérêts de rapprocher Sacré Graal ! et Game of Thrones est que ce sont des fictions qui se posent la question de l’adaptation d’un livre et en tension avec le rapport du cinéma à la télévision. L’un des problèmes qu’on voit se régler dans le film est de savoir comment une équipe de télévision parvient à produire un objet qui soit  filmique alors qu’il s’agissait initialement d’un raboutage de sketchs issus de la télévision. Game of Thrones est exactement l’inverse, c’est une télévision qui affirme qu’elle est capable de prendre la place du cinéma, de s’installer sur le terrain même du cinéma comme la fiction majeure. Cette double tension de l’image au récit écrit et de la télévision au cinéma me paraît assez commune dans les deux objets.

E.B. : Le film oscille entre une logique de sketch et une cinématographie très ambitieuse – je pense à l’usage du plan large par exemple, qui apporte une vision du paysage importante. Le film est gorgé d’invraisemblances et d’anachronismes mais la durée, parfois longue, des plans procure une forte vraisemblance cinématographique. 

M.P-B. : Absolument. Ce film pose une question de manière grinçante et efficace, que la série pose avec d’autres moyens : comment représenter le moyen-âge de manière réaliste ? Le film nous montre qu’il s’agit simplement une histoire de retournements des différentes versions du moyen-âge. Le moyen-âge propret de Robin des bois succède à un moyen-âge boueux, aussi fictif que l’autre, mais ce sont un ensemble de fictions qui sont symétriques et inverses. On a une série de clichés, les bottes pleines de boue, les dents jaunes, mais disons que le réalisme c’est l’envers du cliché qui est aussi un cliché et donc comment retourner encore et à nouveau ces clichés du moyen-âge ? Il y a un livre très célèbre qui s’appelle Pour un autre Moyen-âge où il est question de savoir comment montrer un autre « autre » moyen-âge. La série est aussi de cette affaire, de déplacer la représentation de l’heroic fantasy du côté d’un réalisme politique, social et des passions humaines qui, à un moment, est aussi fictif et proche du stéréotype que l’autre. De ce point de vue là il y a des éléments critiques géniaux dans le film. Le moment où je pense le plus à Game of Thrones quand je vois le film est quand ce pauvre Galahad arrive dans le château d’andratx et 150 vierges l’attendent. Exactement comme dans la série où il est possible d’avoir une expérience sexuelle à tous les coins de rue. Cette espèce de manière d’arriver à la sexualité, le film la démonte et la passe à l’acide de manière extrêmement efficace. Voilà quelque chose sur le rapport au cliché qui me paraît assez opérant dans les deux cas. L’autre affaire est ce constant balancement présent dans le film entre une version lyrique, poétique, cinématographique, du moyen-âge et une version déconstruite, anti-lyrique, présente dans les deux. On oscille dans le film entre des moments où le jeu est visible et parfaitement assumé, et il s’agit de passer toute la convention narrative au vitriole et des moments où cette convention narrative est complètement assumée. Les plans avec les figures des guerriers qui vont attaquer sont ironiques dans la mesure exacte où ils jouent la convention de la manière la plus fidèle qu’il soit. 

La représentation du Moyen-âge permet de construire un balancement radical entre la monstration de la réalité sous la légende et la réalité de la légende. Il faut creuser sous l’or des légendes pour retrouver la réalité du monde tel que nous le connaissons. Or qu’est-ce que Game of Thrones ? Le but de la série est de nous montrer que sous les récits légendaires et divers contes se trouvent des calculs politiques, des stratégies cyniques et des passions brutales. Et la pauvre Sansa, d’avoir trop cru aux contes de princesses, enchaîne les déceptions cruelles. La série va ainsi chercher la réalité sous la légende tout en nous présentant des entrepreneurs politiques, des conquérants, qui pour conquérir doivent en permanence produire de la légende. Ils s’emploient les uns les autres à faire du storytelling avec un agenda, comme les hommes politiques de nos jours. L’agenda de Daenerys consiste à affirmer son statut de mère des dragons, celui de Stannis Baratheon plaide la légitimité, etc. Au même moment où la série montre la réalité prosaïque brutale et violente sous la légende, elle va montrer comment il n’y a pas de lutte politique sans production légendaire et sans adhésion du spectateur à cette production légendaire. De même que Sacré Graal est pris entre la poésie et la parodie, Game of Thrones est pris entre le cynisme et le lyrisme.

E.B. : Ce balancement pourrait aussi être une différence de rapport face à la légende. Ce dont on s’aperçoit souvent dans les séries télévisées est à quel point il s’agit moins de bâtir un univers ou d’avancer dans la construction d’un univers que d’élucider les légendes, attentes et mythes, sur lesquels ces univers sont construits. J’étais très frappé dans la première saison de voir à quel point chaque nouvelle entrée de personnages, chaque péripétie, s’accompagnent forcément le récit d’un événement passé dont nous ne verrons rien, à commencer par cet hiver qui est venu et qui va revenir. Le célèbre « Winter is coming ».

M.P-B. : Cela rajoute une proximité entre ces deux objets. Il faut faire attention à ne pas devenir fou, avec toutes ces comparaisons ! Game of Thrones et Sacré Graal sont deux récits qui perdent la tête, au sens propre et figuré. Game of Thrones perd la tête de Ned Stark à la fin de sa première saison et l’historien de Sacré Graal se fait décapiter par un chevalier, élément déclencheur de la mise en parallèle du passé et du présent. Les deux perdent leur direction, se retrouvent sans boussole, ou en tout cas dans lesquels se posent le problème de savoir ce qu’on peut raconter et ce qui peut se passer quand le récit perd son axe directeur. Il y a cette forme d’expérience de laboratoire dont on sent qu’elle bénéficie dans les deux cas de ce matériau légendaire, qui est lui-même un matériau sans début ni fin. Ce sont, de plus, deux récits dans lesquels le début et la fin manquent aussi. Le matériau mythologique se prête lui-même assez bien à cette affaire. 

Qu’est-ce qui se passe quand on s’installe donc dans l’éminence d’un récit qui ne peut plus compter sur sa tête ? L’une des choses qui se passe est une espèce d’exacerbation de la réalité. Dans le cas de Sacré Graal, il s’agit de la rationalité logique, portée jusqu’à l’absurde. Cette rationalité tourne à vide dès qu’elle n’est plus rattachée à une tête, ce qui produit un effet comique formidable. De la même manière dans GOT, ce qui se passe une fois qu’on a coupé la tête de Ned Stark est une prolifération maladive de calculs stratégiques qui vont compliquer la série jusqu’à l’illisibilité totale car chacun va entrer dans ces calculs pour accéder au pouvoir qui sont de plus en plus compliqués et contrecarrés par ceux des autres. 

Spectateur : J’aimerais parler du rapport entre le passé et le présent dans la série. Le nord – Winterfell, le mur – me semble représenter le passé, avec des chevaliers, un grand mur de frontière, etc. alors que les autres territoires, au contraire, sont plus ancrés dans le présent, les complots politiques font écho au monde contemporain. 

M.P-B. : Stéphane Rolet, auteur de Trône de fer, a proposé la même interprétation. Le rapport de la périphérie au centre est effectivement très net et surdéterminé. S’éloigner, sortir, du centre nous amène progressivement vers l’archaïque. La géographie déploie la chronologie, jusque dans l’architecture et les costumes. King’s Landing, « capitale » du royaume de Westeros, s’imprègne du style renaissant, alors que les châteaux périphériques émanent de la période médiévale. Le nord et le désert, eux, sont presque de la préhistoire. Le nord est peuplé de mammouths, le sud érige des pyramides. Il y a une sorte d’étalement du temps, comme si celui-ci avait coulé en nappes autour du centre du continent. Un autre aspect de cette tension entre le centre et la périphérie est que la magie se trouve sur les bords. Les dragons et les morts-vivants sont véritablement poussés sur les côtés de l’espace central, qui lui est dévolu au prosaïsme politique donc qui est fait de gens qui ne croient ni aux « white walkers » ni aux dragons ni à personne. Ils ne croient qu’aux calculs et rapports de force. Ce qui est repoussé sur les côtés est aussi des mythologies politiques. Des mythologies au sens où le nord est la mythologie de la frontière, des gardiens de la frontière, du mur – qui est une mythologie politique parfaitement commune dans le monde contemporain puisqu’on ne cesse de bâtir des murs dans le monde d’aujourd’hui. L’idée dominante est qu’il y a nous et il y a les autres et entre les deux il y a une frontière. Du côté de Daenerys, il s’agit d’une libération. Il y a des textes assez critiques sur le caractère néoconservateur et néocolonial du geste de Daenerys, cette reine blonde qui va libérer des barbares dont il se trouve qu’ils sont plutôt basanés et qu’ils se prosternent devant elle dès lors qu’ils découvrent qu’elle a une aviation techniquement assez opérante. Pour George Martin, c’est une affirmation transparente qu’il est question du Moyen-Orient. C’est une curieuse façon de repousser les mythologies politiques contemporaines dans les marges et du coup ces mythologies sont contestées, ce qui devient tout l’intérêt de la série. Le mythe de la frontière tient jusqu’au moment où on s’aperçoit que les « wildlings » sont aussi des hommes et qu’eux aussi méritent peut-être d’être protégés. C’est aussi ce qu’il se passe quand la mère des dragons libère des esclaves et se retrouve face aux problèmes économiques et politiques que cela engendre, à savoir qu’est-ce qu’on fait d’une population libérée ? Avec des deux côtés l’apparition d’un même problème : les réfugiés. Dans les livres en tout cas c’est clair, des réfugiés s’amassent, il y a des tentes, des camps… 

E.B. : Le rapport entre le film et la série est d’autant plus fort qu’on retrouve des rimes entre les deux, et entre deux dialogues particulièrement – « ta mère ressemble à un hamster et ton père sent le sureau ».

M.P-B. : Le dialogue et le dispositif sont presque identiques en effet, il s’agit dans les deux cas d’un jeu d’insultes. Sur ce point les Monthy Python faisaient preuve d’une vérité historique assez précise. Durant les guerres médiévales, des soldats étaient payés pour insulter les troupes ennemies. Finalement, les éléments les plus invraisemblables se revendiquent d’une certaine rigueur historique. Je reviens à notre affaire. On a donc deux scènes d’insulte, une avec le guerrier de Mereen face à la mère des dragons afin de la provoquer, et on a même (si vous revoyez ce passage de l’épisode 3 de la saison 4) le cavalier qui remonte sur son cheval après avoir balancé ses insultes, avec sa lance, et attaque Daario avec ce dispositif de champ contre champ immobile qui est exactement celui de Lancelot s’approchant indéfiniment du mariage et reprenant la même scène jusqu’à ce que le cavalier se fasse planter par le mercenaire en face de lui. Donc on a un jeu extrêmement poussé entre la série et cette scène du film, qui laisse à penser que c’est absolument délibéré.  

Yannick Reix : Pour revenir sur la correspondance entre la série, le monde contemporain et la géopolitique, de nouveaux personnages, un groupe de religieux fanatiques, arrivent dans la cinquième saison. En plus d’apporter une certaine résonnance avec certains aspects de notre actualité, ils apparaissent dans la série de manière totalement spontanée au milieu de la civilisation. Ce ne sont pas des barbares, il n’y a pas d’écho à la périphérie puisque ce phénomène se produit et prend naissance dans la centralité.

M.P-B. : Il y a plusieurs choses à dire concernant ces religieux dont la mission est de mettre au pas la capitale corrompue. La série reprend des éléments du livre pas toujours subtilement. Elle a tendance à appuyer lourdement sur ce qui, dans les livres, interroge le contemporain. Le fanatisme religieux de la sorcière rouge d’une part, puis de ce groupe, est appuyé car on se dit tout de suite « ah ça y est, le retour de la religion ». Cela dit, s’il y a une source chez George R.R. Martin à ce surgissement du religieux, il est dans sa lecture des évènements de la renaissance. George Martin, du point de vue de ses inspirations philosophiques et historiques, c’est quelqu’un qui a vraiment lu de très près Machiavel, non seulement Le Prince mais aussi Discours sur la première décave de Tite-Live, et qui en tire des éléments de réflexion sur le contemporain. Dans une capitale extrêmement corrompue où les élites sont en train de perdre le pouvoir, les élites font monter une contestation religieuse sur laquelle ils perdent progressivement le contrôle jusqu’à ce que s’instaure une sorte de théocratie vengeresse et qui fait justice d’un certain nombre qui, au nom de cette justice, suscitent l’adhésion populaire. Il faut se souvenir ici qu’outre les vidéos de décapitation, le groupe pour l’état islamique en Irak et au Levant produit en grand nombre des vidéos où ils montrent des écoles et hôpitaux en état de marche et où ils montrent que l’essentiel de leur activité lorsqu’ils prennent une ville est de mettre fin à la corruption et de remettre un certain nombre de services en état de marche. Il y a donc ce discours de la théocratie comme vecteur de redressement d’un pays en décadence et comme affirmation d’une justice implacable. C’est une manière d’appuyer là où on n’a pas forcément envie de voir ce qu’il se passe. Ensuite ce qui est compliqué évidemment est que la série a beaucoup de mal à ne pas être séduite par ce discours du rigorisme religieux et à ne pas se ranger du côté de ces religieux qui détestent la décadence, la perversion sexuelle, etc. La série se bat contre la morale qu’elle introduit.

Y.R. : Il paraît que la cinquième saison n’est pas une adaptation, contrairement aux autres. 

M.P-B. : Bien qu’intéressante, la question de la distance, et proximité, entre les livres et la série est sans fin. Ce qu’il faut savoir d’abord est que George Martin a écrit ce cycle parce qu’il en avait assez d’écrire des séries télévisées. Il se sentait contraint, cadenassé, par la pauvreté des scénarii produits dans les années 80. Il a donc décidé d’écrire un roman qui soit plus compliqué que n’importe quel roman russe, avec plein de personnages et des intrigues alambiquées, bref, un roman parfaitement inadaptable. Il se trouve que ce roman adapté devient la série qui connait aujourd’hui le plus grand succès en termes de public et de téléchargement. Cette circulation du livre à la série est une drôle d’histoire, non terminée. Malgré sa réticence à terminer le livre néanmoins, George R.R. Martin est tenu de publier la fin, les scénaristes ont dit qu’ils arrêteraient la série jusqu’à ce qu’il ait fini son livre. C’est une complémentarité et une rivalité entre livre et télévision qui est encore irrésolue. Troisième chose, cette série de livres donne du fil à retordre depuis le départ aux showrunners car il faut simplifier, écarter ou fondre certains personnages en un seul, beaucoup se sont d’ailleurs amusés ou offusqués à noter les divergences entre les premières saisons et les livres correspondants bien qu’il y ait toujours une proximité. Vient ensuite la cinquième saison, la plus préparée au point de vue du marketing, la plus chère donc aux enjeux économiques plus lourds, et cette saison a dû adapter un tome qui est sans doute le plus inadaptable de tous. Si vous avez lu ce cinquième tome vous vous apercevez que les personnages sont soit en voyage, comme Tyrion qui voyage pendant une centaine de pages et qui prend ce temps pour penser, réfléchir. Daenerys ne fait que de se plaindre d’avoir mal aux fesses car elle est en audience toute la journée face à des gens qui se plaignent. C’est l’expression même de la difficulté à faire quoi que ce soit lorsqu’on exerce le pouvoir pour lequel on a combattu. Beaucoup de pages sont consacrées aux vêtements de Daenerys, qui font partie d’un rituel. En résumé, c’est un roman qui glisse de plus en plus vers une littérature de description. Nous ne sommes plus dans le récit haletant des péripéties qui adviennent aux personnages. Ce qui est vraiment fascinant dans cette affaire est que la série télévisée vit le même genre de tragédie annoncée qu’il fait vivre à ses personnages. Tous les éléments de catastrophe sont réunis pour que la série déçoive à force de vouloir raconter un livre qu’elle ne peut pas raconter et qui économiquement coûte bien trop cher et la chose est en train d’arriver puisque la majeure partie des commentaires aujourd’hui concernant la série sont « c’est ennuyeux ». Le fait est que la cinquième saison a décidé de larguer les amarres. Plutôt que d’emmener les personnages dans des péripéties qui les éloignent de plus en plus les uns des autres, la série fait se rencontrer des couples, les personnages X ou Y, elle multiplie les chances de rencontres ce qui évidemment change la donne et le sens. Là où T., dans le cinquième livre, est dans une forme de renaissance car quelqu’un lui rend son nom, il est dans la série dans une forme beaucoup plus banale de rédemption car il se sent coupable. Ce n’est pas du tout la même chose poétiquement d’être dans une renaissance car on vous rend votre nom que d’être dans une forme de rédemption. 

Y.R. : Vous parlez de voyage et de bannissement, il y a vraiment quelque chose qui a à voir avec la question de territoire, même chose quand vous parlez des réfugiés – climatiques ici – qui font écho à notre époque. Tous ces personnages qui voyagent donnent l’impression qu’on évolue avec des géographes qui partent de tous les côtés, redessinent des territoires, sans être question de conquête. Tout est déréglé. Les personnages qui sont censés représenter le pouvoir – il y a pour l’un une histoire incestueuse, pour l’autre dynastie le père était un meurtrier fou… Tous ont quelque chose qui les pervertit. Il y a dans le pouvoir quelque chose de tellement déréglé qu’on n’arrive plus à appréhender le territoire, à l’attraper. 

M.P-B. : Si on considère que la souveraineté est l’articulation entre un lien et un lieu alors celle-ci est défaite. Les lieux sont défaits, les sept royaumes éclatés. Le lien est défait dans le sens où il n’y a plus de prétendant incontestable au titre où toutes les formes de légitimité sont écaillées, et dans ce rapport-là nous allons avoir des personnages dont l’errance dessine ou éclaire au fur et à mesure des portions de territoire supplémentaires. Comme on découvre sur la carte du générique au fil des saisons de plus en plus d’espaces car le récit s’élargit jusqu’à ne plus tenir debout puisque l’errance devient de plus en plus grande avec ces formes de maquette et d’hélices. Il est beaucoup question de maquettes et de roues dentées dans le film des Monty Python, c’est une proximité de plus entre les deux. Le territoire est donc éclaté puisque le politique est éclaté, ce qui est une mauvaise nouvelle puisque l’idée est de reconstituer une forme d’unité et en même temps c’est un filon formidable pour raconter des histoires autrement. Des histoires dans lesquelles ce qui se joue à l’un des bouts du territoire aura des effets retardés sur d’autres portions du territoire qui font que la communication et le rapport entre les causes et les effets est lui-même déréglé. À mon avis c’est l’une des questions que posent les séries contemporaines, celle de la communication à distance dans les segments d’un espace global. Comment ce qui est éloigné communique ou non dans les portions d’un espace qui lui-même est dissout ? 

Emmanuel Burdeau, Mathieu Potte-Bonneville


Previous Next

keyboard_arrow_up