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Détours du monde
Sur la photographie de Mikhael Subotzky, Dulce Pinzón, Achinto Bhadra.
Posted in Autour des images 20 min read
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Première publication : catalogue de l’exposition Nos Rêves vous dérangent (Rencontres Photographiques d’Arles / parc de la Villette), Actes Sud, 2015.

Ouvrons sur un détour. Une fillette court, nue et en larmes, sur une route vietnamienne ; deux amoureux s’embrassent place de l’Hôtel de Ville ; des Marines s’efforcent, en grappe serrée, de dresser leur drapeau au sommet d’une colline ; une femme voilée vous transperce de ses yeux verts – la même afghane, nez coupé, vous forcera bien des années plus tard à détourner le regard. De ces photographies, que l’on reconnaîtra sans peine, il est convenu de dire qu’elles ont « fait le tour du monde », croyant par là faire l’éloge de la capacité des images à traverser les frontières et à toucher les coeurs, à atteindre l’universel en témoignant du singulier. Or il y aurait plutôt à faire l’histoire de cette idée : le tour du monde. On se souviendrait alors, par exemple, que le lien entre la circulation des images et l’idée même de tour du monde est plus ancienne que la photographie, mais qu’elle a aussi un lieu de naissance précis : l’Europe des XVII et XVIIIe siècle, dont les artistes et jeunes gens de l’élite effectuaient le « grand tour », ce parcours balisé de Colisée en Parthénon, parcours qu’il fallait avoir parcouru en personne pour admirer les chefs d’oeuvre de l’homme, et dont on pouvait alors revenir instruit, formé aux langues étrangères, initié aux choses de l’amour à Venise et comme rassuré d’avoir vu, du monde, ce qui méritait de l’être. Le « grand tour » valait alors comme une double vérification : on y vérifiait que chaque chose regardée était à sa place, et que le regardeur, lui, était à sa place partout ; chaque monument, reproduit en peintures et gravures, s’y voyait épinglé, figé dans sa géographie – Athènes et ses colonnades, Istanbul et sa foule bigarrée – par les voyageurs européens qui éprouvaient ainsi, en retour, la souveraineté de leur regard, selon une forme de confirmation réciproque que réactivent aujourd’hui, en masse, les foules de touristes se faisant photographier devant le moindre Taj-Mahal, au risque d’obstruer l’horizon. 

Sans doute les photographies que l’on a évoquées ont-elles en partie rompu avec cette façon d’immobiliser le monde, et de s’y mouvoir à l’aise : à la permanence du monument, elles ont substitué l’éclair de l’instant décisif, au rituel du « grand tour » l’urgence de témoigner, la prise de risque du photo-reporter ou la malice des baisers volés. Jusqu’à une date récente, il se pourrait pourtant que ce renversement ait maintenues intactes, avec une certaine centralité de l’Europe dans le rôle de chasseuse d’images, le rôle confié à la photographie : dessiner la circonférence du monde en assignant chaque événement à son lieu ; confier à celui qui regarde un pouvoir sans contrepartie sur ses objets, en lui confiant l’initiative du sens pour peu qu’il se tienne en réserve vis-à-vis de ce qu’il voit, et se contente de contempler sans davantage intervenir. 

Il se pourrait que cette histoire soit en train de se clore, le monde de s’ouvrir, les voyageurs de s’égarer.

Mikhael Subotzky, Beaufort West.

Dressons une autre liste. Une prison se dresse au milieu d’un rond-point, dans un territoire vague,   coeur d’une ville qu’on devine tenir du suburb pelé. Une femme se tient, très droite, portant dans ses bras une immense palme verte, sur le fond d’un décor de studio que l’on aurait davantage cru dévolu aux photos de mariage, ou aux portraits officiels. Superman, un superman un peu trop petit, un peu trop basané, un peu trop moustachu, roule à bicyclette le long d’une voie ferrée, sa glacière dans le porte-bagage. De ces images, il faudrait dire d’abord qu’elles défient la logique temporelle et spatiale qui d’ordinaire trace la géographie du monde. D’abord parce qu’elles ne sont ni intemporelles, ni instantanées : si elles portent bien la marque d’un temps, le nôtre, c’est tantôt pour dissoudre l’instant décisif de la prise de vue ou de l’acte héroïque dans la répétition et la banalité des gestes du travail, tantôt pour marquer un temps – comme on dirait d’une pause, d’un instant pour souffler dans le cours d’une histoire douloureuse –, tantôt encore pour faire lever dans le présent les strates d’une histoire qui ne veut pas passer, d’un apartheid qui se prolonge par d’autres moyens, comme l’angle mort autour duquel les automobilistes de Beaufort West sont voués à tourner en rond. 

Ensuite, ces images ont en commun de rendre visible, avec les coordonnées qu’elles indiquent, la multiplicité des déplacements dont chaque lieu, chaque territoire physique ou mental se trouve traversé. Est-ce bien l’Amérique, Brooklyn, New-York ? Certainement ; mais New-York est le nom du point de passage entre un flux d’immigrants mexicains louant leur force de travail, un flux financier de subsides que ces travailleurs envoient à leur famille, et le flux iconique d’un imaginaire que l’on ne peut dire « authentiquement américain », sans se souvenir tout de suite qu’il est entièrement mondialisé. Sommes-nous à Beaufort West ? Bien sûr, à cette différence près que ce toponyme nomme le non-lieu d’un espace où des populations cohabitent, qui n’habitent pourtant pas au sens strict la même ville du fait de la ségrégation urbaine, et où la prison elle-même immobilise moins ses détenus qu’elle n’organise, du dedans au dehors, le mouvement de balancier indéfini de ceux que leur destin social voue à y revenir encore et encore. S’agit-il d’un reportage sur la traite des femmes en Inde ? Oui, à ceci près qu’aux déplacements qu’elles ont subi, aux arrachements dont leur récit porte la marque, s’ajoute le déplacement vis-à-vis de soi que la mise en scène autorise, et qui les porte à se rejoindre elles-mêmes dans la mesure exacte où elle ouvre une brèche par où s’engouffrent dieu chrétien, divinités hindouistes, tenues musulmanes, oiseaux, arbres et superman encore. 

Il n’est pas indifférent que ces séries photographiques insistent, chacune à leur manière, sur l’authenticité et la véracité de ce qu’elles présentent : ici « la véritable histoire des super-héros », là, au fil des récits, l’idée que la photographie fut pour ces femmes un moyen possible d’exprimer qui elles étaient. Vérité, donc ; mais une vérité comme désancrée vis-à-vis des repères qui nous permettraient d’en stabiliser l’énoncé, et par là de nous en tenir quittes. L’exotisme fut autrefois le nom d’un certain régime de vérité, où chaque ailleurs, considéré d’ici, se voyait doté d’une identité fixe et pouvait ainsi tourner en orbite autour de l’Europe. Si les photographies ici présentées marquent une fin de l’exotisme, ce n’est pas seulement parce que leurs auteurs sont extra-européens ; c’est plutôt que le recouvrement de leur nationalité et de leur propos ne marque aucune coïncidence, par où nous pourrions épingler l’Inde à ses saris ou le Mexique à ses murs chaulés, interdisant en retour de savoir au juste ce que peut bien vouloir encore dire l’Europe dans cette géographie dont nous n’occupons plus le centre. 

Dans un grand livre paru tout récemment, le géographe Michel Lussault salue l’avènement du Monde, réalité nouvelle qu’il situe à l’intersection de deux mouvements : d’une part, l’interconnexion de tous les lieux, dynamiques et flux, dont le grand processus d’urbanisation actuel est le vecteur ; d’autre part, ce qu’il nomme la « mobilisation générale » : « si l’urbanisation possède cette capacité de façonnage du Monde, en tant qu’espace social global de taille terrestre, c’est aussi qu’elle fait système avec une seconde force instituante et imaginante majeure : la mobilité, que ce soit celle des personnes, des marchandises, des données, des informations, des idées, des oeuvres de l’esprit… ». En un sens, il n’y a jamais eu « autant de Monde » – et le rassemblement en un même espace de photographies venues du Mexique, d’Inde et d’Afrique du Sud en témoigne assez – ; mais en un autre sens, de ce Monde, on ne saurait « faire le tour » comme on gravite autour d’une sphère immobile, comme pour vérifier que chaque chose est à sa place.

Soulignons que, traitant de la mobilité, Michel Lussault y voie une force « imaginante », redoublant le déplacement physique des objets et des hommes d’une circulation généralisée des idées – et de l’idée même de circulation qui s’est emparée de nos esprits, y compris sous la forme inversée de la crispation identitaire, du rêve d’autochtonie, du fantasme d’être encore et seulement d’ici. A cet égard, on aurait peine à classer les jeux d’images ici présentés selon l’ancien partage qui opposait le réalisme à l’imaginaire ou la photographie documentaire aux images de fiction, à supposer que cette distinction ait jamais eu de pertinence. Sans doute Michaël Subotsky hérite-t-il de la tradition des grands photographes documentaires et humanistes, Walker Evans ou Josef Koudelka ; mais on se souviendra que le livre que Walker Evans consacra avec James Agee aux fermiers blancs ruinés par la dépression de 1929 s’intitulait Louons maintenant les grands hommes, et se proposait moins ainsi d’opposer le réel au légendaire, que de mettre les ressources de la légende au service d’autres héros, invisibles et dépossédés (on n’est pas si loin, surprise, du travail de Dulce Pinzon). Rien d’étonnant alors à ce que les images de Beaufort West, que l’on croirait souvent posées à nu sur le désert, soient de loin en loin trouées d’étranges morceaux de fiction, traversées de masques – cavaliers masqués en princesse ou en serial-killer du film Scream (Fancy dress), ouvrier noir rajustant le masque chirurgical d’un mannequin de cire blanc figurant un médecin saisi au beau milieu d’une opération (Diorama), ou détenu allongé devant un décor de théâtre figurant le désert où la ville même se dresse (Jaco). La cruauté de ces images est précise : elles témoignent que l’imagination, contrairement au discours convenu, n’est pas une capacité dont chaque être humain pourrait également disposer pour trouver un refuge face à la misère de son existence, mais une ressource rare, ici plutôt réservée aux blancs, tant la circulation mondiale des images n’implique pas leur équitable répartition. En d’autres termes, Michaël Subotsky ne fait pas simplement, contre l’imaginaire, oeuvre documentaire, il n’oppose pas aux chimères les états bruts des corps : tout en donnant à ses portraits les plus crus une profondeur presque introspective, il documente une forme de ségrégation dans l’accès à la possibilité de rêver. 

Achinto Bhadra, série Another Me.

C’est à la lumière d’un tel diagnostic qu’il faut considérer les portraits réalisés par Achinto Badra. Ceux-ci, malgré l’esthétique de fantasmagorie qui les traverse, malgré le choix délibéré d’une photographie de studio qui étale fièrement son fond roux (ou plutôt, grâce à tout cela), ont une valeur proprement documentaire, à deux égards au moins : d’une part, ce dispositif vaut arrachement à la représentation convenue des victimes, témoignant que ces femmes ne sauraient être réduites aux violences qu’elles ont subies (ce que les récits qu’elles proposent par ailleurs revendiquent souvent, y compris en refusant l’idée d’un nécessaire retour thérapeutique sur leur propre histoire – « je veux oublier cette époque, et on ne m’y autorise pas. Les gens me posent toujours des questions… ») ; d’autre part, ces portraits n’attestent pas de rêves enfouis, ou demeurés intacts dans la tête de ces femmes alors même que l’on martyrisait leurs corps, mais d’un travail de restitution dont les conditions sociales, politiques, associatives sont inséparables du propos de l’artiste, comme on décrirait les effets de l’accès à l’eau ou au système de soins : reconquérir « l’image de soi » n’est pas seulement affaire de soi, mais suppose l’appropriation de ressources précises, comme un bief dans le flux des images du monde. Non pas, donc, le documentaire en Afrique du Sud, et en Inde le jeu d’une douloureuse fantaisie : si les oeuvres de Michaël Subotsky et Achindro Badra forment diptyque et se répondent, c’est parce qu’elles mobilisent l’une et l’autre, du point de vue du medium, des gestes naturalistes et anti-naturalistes (alterner les images prises sur le vif et d’autres plus posées, chez Subotsky ; user de la frontalité du portrait comme d’une façon de documenter les circonstances de la prise de vue, chez Badra) ; et c’est aussi parce qu’elles font voir, du point de vue de leur propos, les partages, les exclusions, les dépossessions et les revendications qui se nouent à la frontière entre la circulation des corps et celle des images. 

Dulce Pinzón, La Véritable histoire des super-héros.

On pourrait alors situer, par jeu, le travail de Dulce Pinzon à mi-distance entre ces deux miroirs : dans leur drôlerie, ces photographies font bien davantage que de « mêler la fiction à la réalité », pour reprendre une formule usée et paresseuse. Introduire des personnages de comics dans le quotidien des travailleurs immigrés, c’est évidemment dénoncer l’accaparement de la fiction héroïque par des icônes WASP, en rappelant ce que l’Amérique doit au travail invisible de celles et ceux qui, en même temps, continuent d’entretenir des liens serrés avec d’autres parties du monde (on songe au poème fameux de Bertold Brecht, Questions que se pose un ouvrier qui lit : « Qui a bâti Thèbes aux sept portes / Dans les livres, on donne le nom des rois / Les rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? »). Mais mettre en scène Wonder Woman à la laverie automatique, ou The Hulk à la manutention, c’est aussi métaphoriquement saisir sur le vif une minorité prise, selon la formule de Gilles Deleuze, « en flagrant délit de légender » : autrement dit, dans le même mouvement où ils s’inscrivent dans la grande mythologie des immigrants américains, les travailleurs mexicains photographiés par Dulce Pinzon se constituent aussi comme latinos, cette identité collective qui n’est pas appartenance nationale, mais désignerait plutôt aux Etats-Unis la fiction que se sont forgés celles et ceux qui, venus de quelque part au-delà du Rio Grande, se vivent à la fois comme pleinement d’ici et pleinement d’ailleurs. Et l’on n’oubliera pas que le geste de Dulce Pinzon est encore, matériellement, un coin enfoncé dans l’économie très réelle de la circulation des images : après tout, les personnages ici incarnés font tous l’objet d’une licence, Marvel ou DC Comics, qui assujettit l’usage de leur silhouette et de leur nom au droit commercial ; s’en emparer, fût-ce en costumes de carnaval et en collants qui flottent un peu, c’est aussi bien participer (comme le font les internautes ou les producteurs de fan-art lorsqu’ils détournent leurs idoles et les redessinent à leur façon) au mouvement de réappropriation des flux mondiaux de la fiction.

Plutôt qu’un tour du monde, un monde tout en détours. Ce basculement ne saurait être sans conséquence sur la place qu’occupent les photographes eux-mêmes – ce qu’il faudrait appeler leur façon d’intervenir, intervention marquée de manière intermittente chez Michaël Subotsky (à travers les larges panoramiques sur les prisonniers qui constituèrent son projet d’études initial), de manière explicite et centrale chez Achindo Badra et Dulce Pinzon, puisque l’un et l’autre introduisent costumes et mise en scène au coeur de leurs images. Bien entendu, l’intervention a toujours fait corps avec l’effort pour faire photographiquement « le tour du monde », depuis la soumission aux règles de l’anthropométrie coloniale jusqu’aux reconstitutions minutieuses, scènes d’intérieur ou rituels, vêtements traditionnels ou tenues d’apparat – aucun des photographes ici présentés ne l’a d’ailleurs oublié, et chacun s’efforce à sa façon d’en subvertir les codes. Mais l’anthropométrie pliait les corps et les visages aux canons d’un savoir d’Etat, et la reconstitution rabattait les postures sur l’exhibition supposée d’une authenticité culturelle : des deux côtés, le geste de l’intervention s’autorisait d’une vérité supérieure, qui d’un même mouvement occultait l’artifice et inscrivait discrètement la photographie au nombre des techniques de pouvoir. Rien de tel ici, où l’intervention s’affiche et se revendique comme choix de l’artiste, comme procédure autour de laquelle se noue le lien avec ses modèles, et comme code de lecture pour le spectateur (ainsi le choix, chez Subotsky, de présenter comme oeuvre des images qui pourraient sembler s’apparenter au reportage, souligne bien ce souci de ne pas « faire oublier » sa démarche elle-même). 

Comment comprendre cette orientation commune ? Il faut ici s’arrêter sur le mot même d’intervention, dont le préfixe inter- dit à la fois l’immersion et le rapport. D’une part, les photographes ici rassemblés, s’ils en déclinent différemment la leçon, partagent une même lucidité quant à la condition contemporaine du faiseur d’images : dans un monde dont les coordonnées physiques glissent et se chevauchent, monde que redouble un univers d’icônes elles-mêmes en mouvement, la place n’est plus garantie depuis laquelle le photographe pourrait se prétendre à la fois neutre et central, s’abstrayant de ses propres  courants de vie et de pensée pour laisser la réalité se déployer sous son regard. L’engagement de Subotsky, Badra ou Pinzon est à comprendre, d’abord, comme « embarquement » dans une réalité mouvante : peut-être faut-il avoir ainsi conscience de ce que, comme dirait Blaise Pascal, « nous sommes embarqués », pour ne pas se retrouver plié aux tendances dominantes des images, photographe embedded dans une armée en guerre. 

Intervenir, c’est donc s’avouer n’être pas face au monde, mais au milieu de lui – c’est aussi, d’autre part, assumer de n’être pas seul. Dans un texte remarquable sur le cinéaste Wang Bing, Philippe Mangeot soutenait que « la question de l’échange noué, dans un documentaire, entre un réalisateur et ses « sujets » (…) semble s’imposer aujourd’hui avec une acuité telle que l’on prétende en faire ici le critère d’une préférence ». La même question, et la même préférence, peut valoir pour la photographie – cet art dans lequel on a longtemps considéré que les termes de « sujet » et « d’objet » étaient interchangeables. Construire les scènes avec celles et ceux que l’on s’apprête à photographier revient, de ce point de vue, à briser l’asymétrie et le fétichisme associés à l’idée d’un « pouvoir de l’image » et d’une autorité du regardeur ; c’est associer, au constat d’un monde devenu acentré et mouvant, le principe d’un pouvoir d’imager lui-même partageable, mobile, négocié. Ainsi, les super-héros ordinaires de Dulce Pinzon ont des « pouvoirs » non seulement à l’image, mais sur l’image : non seulement la force herculéenne des personnages qu’ils incarnent figure leur courage quotidien, mais ils sont partie prenante du jeu de la prise de vue. De même, les portraits réalisés par Achindro Badra sont peut-être la plus belle illustration de la notion d’empowerment, aujourd’hui si souvent invoquée : ils se donnent, non comme la capture d’une réalité authentique et poignante prélevée à même des femmes douloureusement éprouvées, mais comme un instrument, construit pour amplifier ce qui en elles résiste à cette souffrance, et dont elles peuvent se faire les usagères. 

Que les sujets de la photographie deviennent, par la photographie, un peu plus des sujets : plutôt que de cultiver la nostalgie d’un monde dont on pouvait autrefois faire le tour, l’exposition Vos rêves nous dérangent invite à voir les détours qui mènent au monde actuel comme une manière, aussi bien, d’y prendre de l’élan.

Mathieu Potte-Bonneville


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